Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/337

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ture prodigue aux humains et peut-être aux bêtes. Avec leurs petites cervelles de hasard, inconstantes, légères, brouillonnes, elles couraient à tous les pièges, même les plus ignobles, elles pouvaient être engrossées aussi étourdiment que la hase au coin d’une emblavure ; le viol, la syphilis, la blenhorragie, les coups de poing et les coups de couteau les menaçaient le long de leur route ; elles vivaient enfin sur une terre de lutte et de proie où il fallait risquer la chance ou la malchance à chaque pas. Mais elles n’étaient guère inquiètes et pas du tout malheureuses ; leur prévoyance équivalait à celle des nègres, l’oubli leur venait promptement, elles broutaient les événements comme les moutons broutent les herbes.


Quelques jours après la réunion des afficheurs, un après-midi, François parcourait l’étrange territoire. Il ne s’en lassait point, il découvrait continuellement des êtres, des industries, des ruines, des paysages. La nature travaillait sournoisement à côté de l’homme ; elle ébauchait des steppes et des fourrés, fixait le lichen, subtil comme un oxyde, insaisissable comme une carie, multipliait les mousses, tissait les giroflées et les linaires, mettait un arbre dans la fente d’un mur, tirait parti d’une épluchure de pomme de terre pour commencer un champ, nourrissait des trèfles, du sainfoin, de la luzerne, du lupin, de l’ortie, du plantain, du seneçon, de la fougère, de la chicorée sauvage…

Et les bêtes tentaient fortune. Chaque insecte exerçait sa profession, selon qu’il avait reçu de ses ancêtres la scie, la tarière ou la pelle ; la pince, le pic ou la truelle. La taupe creusait sa mine ; le rat s’avançait en hordes ; on rencontrait des souris, des campagnols, des mulots, des chauves-souris et même des loirs. Les chiens errants foisonnaient, les chats formaient des variétés rustiques, pleines de