Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/336

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tolérait que des idylles commodes, faciles à dénouer. Comme il avait le genre de voix qui grise les passionnées et touche les tendres, il semblait que sa vie amoureuse dût être nombreuse. Son mysticisme le défendait et son orgueil. Après un discours sur la justice ou la révolte, il exécrait de passer aux propos équivoques ; il n’aimait pas non plus les gestes familiers auxquels les Casanova doivent leurs cyniques triomphes. Il saurait limiter les taquineries de Georgette et d’Eulalie. En attendant, elles servaient à détacher sa pensée de Christine : c’était la légère chanson nomade qui frôle la rivière et la colline, non la grande légende qui mêle la peur au désir.


L’habitation des Meulière était une sorte de centre autour duquel rayonnaient les Pouraille, les Dutilleul, les Bossange, les Perregault, les Bardoufle, les Fallandres, les Taupin, les Carmouche, les Castaigne… Dans ce milieu percé de terrains vagues, où les clôtures avaient de toutes parts subi des attaques, les hôtes communiquaient comme des lapins dans une garenne. Georgette et Eulalie pénétraient librement chez les gens. François les voyait surgir au bord des jardinets, sur les seuils et jusque dans les logis où il rendait visite. Elles se donnaient fréquemment un demi-jour de congé, lorsque l’ouvrage ne pressait point, et rôdaient dans le quartier mi-sauvage, jusqu’à la Butte-aux-Cailles, aux fortifications, à la barrière d’Italie, même au pont de Tolbiac. L’inquiétude de la dernière croissance était en elles, les fièvres de la métamorphose, et le monde, encore aussi neuf que pour l’enfant, semblait s’élargir. Elles attendaient l’heure merveilleuse qui ne sonne jamais : elles naviguaient sur le faubourg parisien comme les marins de la Renaissance sur l’Atlantique, sur les lacs et les fleuves vierges. Elles étaient pleines de ces promesses vagues que la na-