Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/344

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Elle fourrageait l’herbe, du bout de sa bottine, d’un air de commisération ; elle respirait vite, tandis qu’une nacre rose illuminait ses joues. Georgette s’était éloignée : on la voyait arrachant des pissenlits, des renoncules, des fleurs de trèfle.

— C’est qu’on est mal instruit ! insista-t-il. On fourre de l’instruction dans les crânes comme on jette les ordures dans une poubelle.

— Et c’est votre Confédération qui va arranger ça ? Vous croyez que je ne les ai pas entendus bavarder et promettre la lune ? On peut les mettre à Sainte-Anne, allez !

Il reconnaissait le démon que les mystiques discernaient dans la femme. La prunelle incrédule le fascinait ; quelque chose en lui allait contre son propre prosélytisme et trouvait ce regard plus charmant d’être sceptique :

— Est-ce qu’on vous a jamais dit qu’il y avait un temps où les femmes étaient les esclaves de l’homme ? En ce même temps, on vendait les hommes comme on vend des poulets ou des lapins… Si vous aviez existé alors, vous auriez traité de fous ceux qui se révoltaient contre cette abomination ?

— Je n’en sais rien. Et vous non plus ! On peut bien nous raconter ce qu’on veut, on n’y était pas !

Georgette venait de disparaître. Un rai, tamisé par la nue, tombait sur Arcueil et Gentilly ; une bande de pigeons se roulait dans l’atmosphère. Rougemont se rappela les temps où il ne pouvait les voir sans une bouffée de joie. Comme il avait aimé le claquement de leurs ailes, leurs départs en plein ciel, leurs retours subits et énigmatiques. Parfois, il en avait tenu quelqu’un dans la main, si chaud, si léger, si velouté, et lorsqu’il le lançait, lorsque la créature froufroutante montait d’une volée, victorieuse de la pesante matière, tandis qu’il demeurait collé au sol, avec ses membres opaques, sa carcasse