Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/350

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Nous n’avons pas besoin et pas envie de le savoir ! répondit-elle. Dites seulement que vous m’aimez… ce soir !

— Je vous aime ! dit-il, ivre et la soulevant.

Mais il craignait encore, malgré les apparences, qu’elle ne fût neuve : il le regretterait amèrement par la suite.

— Et moi aussi… Ah ! je vous aime… je t’aime ! criait-elle.

Alors, dans une hésitation suprême, il la tint assise sur ses genoux, abritée contre sa poitrine. Elle tournait vers lui un visage tout blanc dans les dernières lueurs mauves ; les yeux avaient encore grandi, pleins de guerre, de splendeur et d’avenir ; les cheveux roulaient barbares et magnifiques ; l’air était saturé de plaisir et de brillante inquiétude. Il vit, aux prunelles d’Eulalie, qu’il n’y avait plus d’alternative : l’amour et le sang bourdonnaient dans sa cervelle…


Ils s’en revinrent par les champs où tombait, comme un reflet de sabre, la clarté du croissant. La cime des peupliers, à chaque vacillation, jetait de faibles étincelles ; une vapeur impalpable s’élevait sur les emblavures et poudrait les acacias ; le crissement du grillon était humide et les chiens, à travers l’étendue, s’avertissaient de ce danger chimérique qui les trouble, les excite, les charme, en souvenir des temps où leurs ancêtres faisaient la guerre aux loups et aux chacals.

Le bonheur environnait encore Eulalie, subtil comme les petites étoiles noyées dans le chemin de Saint-Jacques. En François s’agitait ce triomphe qui, pour être le plus simple, reste le plus fort de nos triomphes. Il considérait, au clair du croissant, la longue fille dans son corsage soufre, avec son chapeau de coquelicots ; elle l’attendrissait ; il lui trou-