Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/349

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pelait, le sourire complice, il offrait l’établissement :

— Nous voulons dîner, déclara Eulalie.

Le garçon approuva d’un geste circulaire et, consultant François :

— Dans la salle ? Ou peut-être que ces m’sieu dame désirent un cabinet particulier.

— Oui.

— Oh ! alors, le balcon ! supplia la grande fille.

Le garçon les mena par un couloir qui suait comme un déménageur et un escalier qui chantait à chaque pas. La chambre, trempée d’orange et de topaze par le soleil, qui roulait son four énorme sur Vanves, était basse, profonde, peinte de frais, avec la gaieté du balcon de bois et de la vigne.

On leur servit, sur une petite table aux pattes tremblantes, l’omelette, le gigot, les pommes de terre frites, la romaine, le coulommiers double crème et de petites poires au visage vieillot, qui se trouvèrent délicieuses. Un vin de Vouvray, qui bubelait gentiment, bourdonna dans la tête d’Eulalie. Ce fut un crépuscule mystique ; les vitraux du couchant s’emplirent d’illusion violette et de grands rêves écarlates ; des nuages de velours vert se mêlaient à des laines hyacinthe ; une humidité tendre flottait et mélangeait l’automne prochaine aux dernières heures d’été. Ah ! la grande bringue fut heureuse. Elle alternait les baisers et les nourritures, elle tourbillonnait d’amour. Au café, donnant un tour de clef, et défaisant ses cheveux innombrables, elle y enfouit le visage de François. Ils fleuraient le lilas de bazar, mais leur chaleur était vivante ; les lèvres vives se cherchaient comme dans une jungle.

À travers tant de trouble, et tout fondu de désir, il eut pourtant son scrupule :

— Est-ce qu’il ne faut pas penser à l’avenir ? Ne regretterez-vous rien, ma belle fille ?… Nous nous connaissons trop peu pour savoir ce que nous ferons demain.