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XVI


C’était l’époque où l’œuvre de Rougemont s’épanouissait par ses propres forces. Toute propagande, lorsqu’elle porte ses fruits, implique des repos où le meneur a intérêt à laisser mûrir la récolte. Son absence sera utile : elle rompra une familiarité qui devient banale, elle gardera des voies pour l’imprévu, aussi nécessaires dans la vie des groupes que dans la vie des individus.

Au lendemain de l’aventure avec Eulalie, François eut envie d’un voyage. Il avait amassé quelque argent ; aux ateliers Delaborde, c’était une période de demi-chômage : la brocheuse obtiendrait sans peine un congé. Par ailleurs, il lui était pénible de rencontrer Christine. Il lui semblait outrager un culte mystérieux : il aurait rougi et souffert si Mlle Deslandes l’avait vu avec la grande fille.

Peu de jours après le second rendez-vous, il attendait Eulalie, au boulevard Saint-Marcel. Il reconnut de loin le corsage soufre, la marche saccadée, avec des « allongées » de pouliche.

« Une sauterelle ! » songea-t-il avec un sourire.

L’image ne fut point désagréable. Il aima la longue structure, la souplesse folle, un peu gauche mais si vive, parmi les petites femelles aux jambes courtes qui peuplent le trottoir parisien.

— Bonne race ! grommela-t-il. Du feu, du sang, le muscle net et de la vie pour cent générations.

Eulalie s’empara de Rougemont comme d’une proie :