Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/370

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quoi qu’on fout dans ce sacré pays ? On foutait rien, on crevait pou’ le roi de Prusse !

Le taillandier-forgeron avait failli passer en conseil de guerre, après une échauffourée avec son sergent-major ; il ne prononçait jamais le mot de caserne ni de gradés sans faire siffler un long crachat. Sa tête de pirate, où de la limaille incrustait une chevelure fauve, où les yeux jetaient un feu vert, plus éclatant sur la face noircie, mimait les saletés de la discipline et la corruption des sous-officiers. Il hurlait, avec le geste d’abattre son marteau :

— Maï, que no me donne cent officiers, je leur claque tous la tête su’ m’n’enclume ! J’sommes paysan, le paysan y doit pas porter les armes, à preuve qu’y les a pas portées pendant des mille et des mille ans. Le paysan est su’ sa terre, c’est pas un guenon de Paris, y fait vivre un chacun et tertous, c’est un chacrilège de le tirer de son village !

Le bouilleur, Pierre Sorel, qui s’en allait avec son alambic transformer les jus en alcools, était le plus vigilant des propagandistes. C’était un petit homme entre le rouge et le châtain, l’œil boueux sous un sourcil flasque, avec une expression blafarde et maupiteuse. Son nez, mangé par la couperose, donnait beaucoup d’huile. Il exhibait des mains faibles mais énormes, dont le derme boursouflé faisait figure de gants. Toute la personne de Sorel exhalait le calvados. Cette liqueur se dégageait de sa blouse, de ses culottes, de ses godillots, elle sortait de son nez et de sa bouche, elle se percevait sur la peau, dans la barbe et la chevelure :

— Je sieux pétrolé contre les mites, les vers et les microbes ! déclarait-il en lampant ses petits verres.

Pourri d’arthrite, en proie à une blennorrhée, qui lui avait ôté l’usage d’un testicule et menaçait