Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/389

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tout pour eux, et puis rien. Ils sont faibles, soulards, bêtes, paresseux, mauvais comme teigne et gale. Ça commence depuis qu’ils sont gosses… Tu as pourtant été à la primaire.

Cette argumentation de fait démontait Dutilleul. Il se remit en colère :

— C’est la faute à la société !

— C’est le capitalisme et le militarisme qui ont détérioré la marchandise ! hurla Isidore, dressé sur ses pattes bancroches.

Le mécanicien Goulard, lissant sa barbe avec amour, déclara :

— L’intelligence c’est une affaire d’instruction. Quand on saura s’y prendre, tout le monde sera intelligent… La seule chose à quoi on ne peut rien faire, c’est que les uns sont beaux et les autres laids.

— Tu ne te donnes pas de coups de pied dans le trou de balle ! fit doucement Taupin.

Perregault se rangea subitement du côté de Meulière :

— Pour l’invention, elle passera aux ouvriers, mais l’intelligence et puis le courage et la volonté, il n’y en aura jamais que pour un petit nombre d’hommes.

Des faces velues houlèrent, ivres d’égalité. La Trompette de Jéricho s’enfla dans un rugissement de lion, suivi d’une aboyade de molosses ; Isidore Pouraille frappait la table de son verre, avec méthode et fureur ; Armand et Marcel Bossange, le petit Meulière, Émile, clamaient la déchéance du privilège intellectuel ; Goulard rythmait sa foi de la main et de la barbe ; Jules dit Béquillard, blessé dans sa dignité par les propos de Meulière, bégayait qu’un garçon de salle vaut un ingénieur ; Vagrel, Bollacq, Alfred le Rouge, Vérieulx, Piston dit la Tomate, Baraque, Vacheron l’Acacia, Boulland, Cambrésy, Filâtre, Pignarre, Lévesque,