Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/393

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— Quand la justice et la salubrité auront duré pendant quelques générations, le type humain commencera à produire des individus de même valeur. Sans doute, il y aura tout de même quelques inégalités. Pas plus que les facultés ne seront uniformes, pas plus ne seront-elles strictement égales ni même équivalentes. Mais ce sera bien peu de choses, camarades. D’abord, la plupart du temps, la légère infériorité d’un homme doué à peu près des mêmes qualités qu’un autre sera compensée par quelque petit avantage dans un autre genre. Il deviendra ainsi très difficile de décider si Pierre est réellement supérieur à Paul : c’est tout ce qu’il faut pour établir l’égalité véritable des droits et des devoirs, la jouissance de conforts et de luxes divers mais à peu près de même valeur. Le grand homme, ce reste intellectuel des temps barbares, disparaîtra complètement. Il n’y aura plus de Victor Hugo et de Pasteur, pas plus qu’il n’y aura de Napoléon, de Gambetta, de Rockefeller, ni même de Blanqui et de Jaurès ; il n’y aura plus de demi-dieux, des quarts ni des huitièmes de dieux, il n’y aura plus de héros ni même d’hommes notoires. La raison en est simple : le nombre des individus capables de faire ce qu’on appelle de grandes choses sera presque illimité. La société aura à sa disposition des légions de philosophes, de savants, d’inventeurs, de poètes, de littérateurs, de peintres et de musiciens. L’art et la science donneront des fleurs merveilleuses ainsi que dans ces parterres hollandais où ne poussent que d’admirables tulipes. Alors à quoi bon glorifier ou déifier une créature ? La gloire paraîtra je ne sais quelle folie, quelle misérable conception d’hommes encore à demi sauvages : il suffira à chacun de se développer selon ses goûts et ses énergies, dans la plénitude de sa dignité, dans le sentiment fraternel des droits du prochain. Et d’appartenir au genre humain suffira