Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/406

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Gourjat avait remis sa bottine ; il écoutait, d’un air morne, cette voix de vrille qui le torturait depuis tant d’années ; il songeait à Mlle Félicie Pasquerault, la fille du maître tanneur, fraîche, gentille, d’humeur égale, avec qui il aurait été si heureux. Ah ! madame Giraud, qu’avez-vous fait ?

— À la maison ! réitéra la mégère.

Faute de concevoir l’influence de la foule, la suggestion de faces ricanantes et de propos joviaux, elle avait dépassé la mesure. Cet humble Hippolyte se redressa sous les fourches caudines, il regarda Philippine bien en face. Son art prenant une forme inattendue, il poussa le cri rauque de la dinde et les clameurs ahuries de la pintade. Puis, il fila à travers les terrains vagues avec de tels miaou, que tous les chiens du terroir aboyèrent, et que les ménagères, penchées à leurs fenêtres ou surgies des corridors, crurent ouïr la première clameur révolutionnaire.

Chez les Bossange, la mère avait tressauté :

— Ils viennent ! déclara-t-elle avec certitude. Pourvu qu’on ne coupe la tête à personne ; ça me renverserait les sangs !

Malgré les explications cent fois répétées de ses fils, elle n’imaginait pas la révolution sans guillotine et sans pendaisons. Lorsqu’elle rencontrait Tarmouche, Castaigne dit Thomas, Théodore ou Pierre Caillebotte, le curé de Sainte-Anne, Christine ou Marcel Deslandes, elle les voyait nettement hissés à une lanterne, la corde au cou, ou la tête passée dans la lunette à Deibler. Elle craignait aussi pour son mari, Adrien Bossange, qui s’obstinait à exécrer le communisme et à mépriser le peuple : quand Armand discourait sur la justice, son père l’interrompait d’un ton chagrin ou se retirait dans la chambre voisine. La joie de voir ses enfants rejeter l’outil du prolétaire, était empoisonnée par ces manies socialistes. Il observait ses fils avec des pru-