Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/410

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de géant. Il a rompu avec le passé politique, il a compris les lois positives de l’association, il a couvert la France de syndicats solidaires, qui font trembler la bourgeoisie ; il a fondé cette Fédération générale du travail qui n’a aucun équivalent chez nos adversaires, qui nous permet de coordonner et de centraliser nos efforts, qui dirige et prévoit nos destinées sociales bien mieux que le gouvernement ne dirige et ne prévoit les destinées politiques. Le quatrième État, après avoir été si longtemps un idéal, est devenu une réalité solide, il est prêt à l’action, il n’a plus qu’un geste à faire pour s’emparer de la fortune nationale…

— Tu vois, fit le père avec amertume. Je te demande des explications positives et tu me sers un discours. Tu ne parles pas mal, mon enfant, tu auras de l’éloquence, mais ce n’est pas avec de l’éloquence qu’on réglera la question sociale, c’est avec des chiffres !

Le visage d’Adrien décelait un tel dégoût, que le jeune homme n’osa continuer. Il se tut, plein d’une indulgence dédaigneuse pour les idées du vieillard qui, sentant trop bien cette indulgence, soupira :

— Oui, mon cher petit, tu es jeune, tu découvres l’Amérique !

Le déjeuner finissait. Adrien n’osa proposer une promenade : il savait que ses fils s’ennuieraient, que toute leur âme se porterait vers la ville, le Château-d’Eau, la place de la République, vers le mystérieux repaire de la Grange-aux-Belles. Avec un chiffon de soie, chauffé aux braises de la cuisine, il polit son haut de forme et s’en fut, humilié, voir la chair verte des prairies, des emblaves et des bois.

Son départ libéra les langues. Armand et Marcel laissèrent flamber leur espérance ; Adèle, heureuse de leurs bonnes « platines », enfournait pêle-mêle les phrases. Elles évoquaient ses notions propres, une ratatouille d’événements, un hochepot d’images,