Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/411

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cependant qu’en sa manière, elle mettait un peu d’ordre dans le ménage, chassant les bottines à coups de pied, donnant un revers de torchon ou promenant sur le sol un balai hasardeux. Elle ne s’obstina point. Dès qu’elle jugea les rites accomplis, elle concéda au logement sa crasse et son chaos.

Pour honorer le 1er mai, elle se disposait à donner un petit quart d’heure à sa toilette, lorsque éclata le miaulement de la Trompette : la révolution était venue ! Elle la voyait. D’abord une légion d’hommes brandissant des sabres, des barres de fer, des fusils démesurés, et chantant la Carmagnole : leur costume est déguenillé, mais pittoresque ; ils portent des chapeaux pointus, des casquettes rabattues ou des bonnets phrygiens ; derrière, sur un char de bœuf gras, une dame corpulente qu’environnent des messieurs très bien, en redingote et haut de forme ; puis beaucoup de femmes qui vocifèrent : « À la lanterne ! » suivies d’un groupe noir et d’une guillotine.

Le spectacle présentait quelques variantes, selon l’état d’âme d’Adèle ou de récentes palabres. Ce matin, elle concevait le groupe de la C. G. T. avec une interminable banderolle, bourrée de devises et de mots historiques, et M. Griffuelhes, sur un cheval blanc, suivi d’hommes rangés en bon ordre, la boutonnière rougie d’une églantine et clamant terriblement l’Internationale.

— Ils arrivent ! Ils arrivent ! cria-t-elle, en se jetant vers la fenêtre.

Quoiqu’une action sérieuse leur parût invraisemblable, à cette heure et dans ce terroir, les garçons suivirent Adèle : toutes les façades laissaient surgir des têtes de commères, toutes les portes vomissaient des hommes.

— C’est toujours la même répétition ! grinçait le père Meulière, penché sur le ruisseau.

Il était un peu pâle. Perregault, la main en vi-