Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/425

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militaristes se liaient par une chaîne de bras jetés en travers des épaules. Et un homme avait surgi, dont la barbe pullulait vers la droite, alors qu’elle poussait rare à gauche, entre des cicatrices d’écrouelles. Avec un rire frénétique, il hissait un manche à balai surmonté d’un couvre-pied rouge ; il rauquait par hoquetées :


Debout, frères de misère !
Debout et plus de frontières :
Révoltons-nous contre les affameurs.


La Trompette de Jéricho reprit le refrain en puissance ; le chant unifia les faces comme il coordonnait les pas et, si dissemblables, tous parurent issus d’une même race, disciplinés par des traditions identiques. Dans cette minute, un prodige leur eût paru l’âme même des choses.

— La charge ! hurlait Gourjat, qui donna les notes du clairon.

À la vue de cette bande massive, le populaire délira. Enfin, la C. G. T. prenait le commandement ! Le bruit s’en répandit ; des individus aux yeux luisants accoururent ; d’un jet, la multitude de l’autre rive emboîta le pas. Plus de mille hommes marchaient, torrent couleur de coke, de houille, d’amadou, de mortier, d’argile rousse et bleue, où bouillonnait la clarté des visages.

Brusquement les brigades centrales et la cavalerie s’ébranlèrent.

— L’heure de la tripe est arrivée ! écuma Dutilleul.

Troupe et police chargeaient. Entraîné par son élan, le peuple reçut le choc sans broncher. Dutilleul abattit sa trique et bossela un sergent de ville ; les Six Hommes se ruèrent ; on vit Alfred le Géant rouge basculer un officier de paix tandis que Bardoufle, empoignant un cheval aux naseaux, d’une main irrésistible décrochait le cavalier. Un