Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/46

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— Mais vous êtes un ennemi, répondit-elle d’un ton moins âpre. Vous conduisez le peuple aux charniers. Dans cette société, où il est si nécessaire de se recueillir, vous apportez le trouble et la violence : Dieu sait combien d’innocents périront par votre seule faute ! Je ne puis y penser sans colère.

— Il périt toujours des innocents ! murmura-t-il, avec une gravité mélancolique. À l’heure où nous parlons, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants meurent lamentablement pour avoir eu faim, pour avoir eu froid, pour avoir vécu dans des cloaques infâmes. Ignorez-vous donc la misère de vos semblables ?

— Je n’en accuse personne. Il est ridicule d’exiger des riches une bonté qui n’est pas dans les pauvres.

— La bonté des riches n’est qu’une injure aux pauvres. Nous voulons supprimer la misère.

— Je le veux aussi.

— Alors, il ne reste qu’à nous mettre d’accord sur les moyens.

Elle se mit à rire :

— Ce serait long !

— Qui sait ? Il suffirait que vous voyiez l’impossibilité de s’entendre avec les bourgeois.

— Il vous suffirait de comprendre la possibilité de les vaincre sur leur propre terrain !

Ils se turent. Dans le silence qui suivit, ils s’observaient avec curiosité et méfiance. Au fond du ténébreux avenir, il voyait pulluler les races futures, et la joie était sur elles. Christine voyait le choc des énergies, éblouissantes comme des forges ou subtiles comme des courants électriques.


— Voilà mon frère qui rentre ! dit la jeune fille, en dressant l’oreille.

Elle embrassa le petit Antoine et se retira, du même mouvement sûr dont elle était venue.