Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/460

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tandis qu’un gros terrassier battait du tambour sur son ventre.

— Halte ! cria le bancroche en déposant sa trompette. V’là l’ouvrage qui repique. D’abord, n’oublions pas que c’est nous qui nomme le chef de chantier.

Il tourna vers Bardoufle une face où le rire faisait frétiller la barbe :

— C’est toi, que je propose !

L’homme aux vastes fémurs le regarda, béant :

— Oui, toi, ricana Pouraille. T’auras la grosse paye de dix-huit sous l’heure, ce qui fait que tu ne regarderas pas à nous payer un litre. T’es pas chien, on te connaît. Tu n’as qu’un défaut, et c’est pour celui-là qu’on te fait chef. Attendu que ça te le coupe, ton défaut !

Il dirigeait vers les camarades un clin d’œil énorme. Deux ou trois seulement grommelèrent — qui, eux-mêmes, guignaient le poste, mais les autres, saisissant le truc, croassaient en cadence :

— Ça y est, bourdonna Isidore, t’es not’ chef et tu sais, on te respectera, à condition que tu nous respectes. Un coup de trompette !

— Le singe ! grommela un « mousse » qui veillait à la clôture.

Effectivement, le patron, Eugène Lehoudeaux, faisait son entrée. Il avait pris son meilleur visage, il dirigeait vers les hommes un sourire de bon prince qui redoute son peuple. Et il déclara :

— Mes amis, nous voilà de nouveau ensemble. J’espère que ce sera pour longtemps. Je ne vous cache pas que j’ai fait d’énormes sacrifices et que je m’attends à perdre de l’argent. Mais je compte sur vous, car si l’entreprise ne marche pas, il n’y aura plus d’ouvrage pour personne. Patron et ouvriers seront logés à la même enseigne, l’enseigne de sous les ponts et de l’hospitalité de nuit. Enfin, j’espère que vous êtes contents !