Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/461

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Pour le moment, on ne se plaint pas ! répliqua Isidore. Faut un commencement à tout. On vient de nommer notre chef de chantier.

L’entrepreneur fronça les sourcils, inquiet, plein d’une rage sourde.

— Ça sera Bardoufle ! continua le bancroche.

Les traits de Lehoudeaux se dilatèrent. Sachant que l’homme, par nature, ne boudait pas à l’ouvrage, il envoya à Bardoufle un sourire presque tendre :

— Mes félicitations au camarade Bardoufle !

— J’te crois, sifflota Isidore.

Pour mieux amadouer les travailleurs, Lehoudeaux ne s’éternisa point. Il se borna à donner les instructions utiles et laissa le chantier se débrouiller.

— Bon voyage ! grommela un terrassier à la nuque renflée et à la gueule de loup.

— Au turbin ! goguenarda un autre.

— Et doucement, foutre ! repartit Isidore en saisissant sa pelle.

Bardoufle tenait déjà la sienne prête. La tradition de la « terrasse » veut que le chef de chantier, taillé en force, soit en même temps un entraîneur. L’homme aux lourds fémurs, plus qu’aucun autre, était apte à cette tâche. Il commença par donner une énorme bêchée, une bêchée d’honneur.

— Ah ! ben, ricana Pouraille, à ce compte, l’ouvrage, elle serait vite bouffée. Mon vieux, ous qu’est ta dignité de chef ? T’as donc du plâtre dans l’œil ou du mastic dans l’oreille ? Le syndicat a décidé que les chefs de chantier n’en f…traient plus une prune !

De saisissement, Bardoufle faillit lâcher sa pelletée :

— Mais on m’a porté à dix-huit sous de l’heure !

— Justement ! On t’a augmenté pour que tu te reposes. T’es un quinze mille balles, quoi ! Subséquemment, tu n’as plus qu’à flâner et à nous sur-