Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/465

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francs ? Allez ! vous ne devez rien à la société actuelle. Elle vous exploite depuis le jour où vous avez commencé votre apprentissage. Vous en avez fait assez pour vivre inoccupé jusqu’à l’heure de votre mort. Puis, il ne s’agit pas seulement de vous. Il s’agit des autres. Si le chef de chantier travaille, c’est autant de pris aux camarades, c’est du pain enlevé de la bouche des chômeurs. Soyez fraternel, Bardoufle ! Dites-vous que vous défendez la cause de tous ceux qui souffrent et qui peinent, dites-vous que vous avancez l’heure où l’homme cessera d’être la proie de l’homme, où les ateliers, les usines et les chantiers cesseront d’être des bagnes…

La lourde machine de Bardoufle s’exaltait avec lenteur. À la voix de Rougemont s’évanouissaient remords et scrupules ; elle montrait clairement le devoir ; elle remplaçait la honte par la fierté et l’abattement par la ferveur. Levant ses pinces opaques, le terrassier murmurait :

— Alors, c’est sûr, je peux gagner cet argent sans rien faire ?

— Vous le devez, mon ami, au nom de la justice et de la solidarité sociales !

— Puisque vous le dites, c’est que c’est comme ça ! cria Bardoufle d’une voix tremblante.


Comme ils approchaient des Enfants de la Rochelle, François aperçut Alfred le Géant rouge attablé devant un byrrh et Berguin-sous-Presse, qui triturait pharmaceutiquement son absinthe. Tous deux décelaient de la fièvre. Alfred grattait la table par intervalles et montrait des pommettes écarlates ; Berguin-sous-Presse suait abondamment et roulait des prunelles saugrenues. À la vue du propagandiste, tous deux sursautèrent :

— Ça y est ! déclara Berguin d’un air sinistre.

Mais Berguin n’avait aucune autorité. Rougemont