Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/472

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— Croyez-vous ?

— J’en suis sûre. Ce serait une action courageuse et généreuse. Car chacun souffrira, les grévistes surtout : leur défaite est sûre.

— Qu’importe à leur exploiteur ? Il aura le plaisir de vaincre.

— Ce ne sera pas un plaisir, ce sera une grande amertume. M. Delaborde est malade…

— Alors, c’est pour lui que vous venez ?

Elle continuait à le regarder en face. Le feu de ses yeux était franc, net et pur. Mais François n’y voyait qu’équivoque et dissimulation.

— Oui, répondit-elle à mi-voix. Il a besoin de ménagements : des émotions trop vives peuvent le contraindre à abandonner son imprimerie. Que deviendront alors ceux qu’il emploie ? Ou il se rencontrera un homme capable de mener cette affaire et les ouvriers auront un maître bien moins indulgent, peut-être dur et rapace. Ou les ateliers péricliteront et ce sera du chômage. S’il est vrai que je pense surtout à M. Delaborde, vous voyez bien que son intérêt se confond avec celui de ses hommes !

Il ne répond plus. Elle voit passer dans les yeux sincères une rancune dont elle n’a pas le secret. L’idée qu’il est jaloux, et jaloux du vieil homme, est la dernière qui puisse l’effleurer. Elle croit que la rancune est pour elle et conçoit que sa démarche est vaine. Cette démarche, elle l’a méditée et voulue, sachant bien que la chance de convaincre Rougemont était presque négligeable. Elle existait pourtant. Il fallait la tenter. Et maintenant qu’elle l’a tentée et qu’elle connaît son échec, un poids de tristesse courbe son épaule. Elle est pleine de pitié pour Delaborde, dont le cœur est malade et qui supportera mal les agitations de la grève, mais elle n’est point irritée contre François ; elle sent le regret profond, presque un remords,