Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/478

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dans celle des vieillards. L’antique civilisation, nourrie par des siècles de discours, remplit nos cerveaux d’actions imaginaires. Comme l’homme primitif se jette vers la proie, nous nous précipitons vers tous les possibles sociaux. Un extraordinaire hasard nous y convie. Toute ville est pleine d’êtres qui réussissent, par une agitation saugrenue, inutile ou nuisible — par d’absurdes palabres, par des œuvres illusoires, par l’entr’aide déloyale, par des rencontres baroques… D’ailleurs, des vocations sûres commencent par la même incohérence qui préside aux efforts dérisoires, l’enthousiasme créateur offre la plus ahurissante similitude avec l’exaltation imbécile, et même l’effort utile se mêle d’inconcevables gaspillages.

Armand rôda longtemps sur les berges avant de savoir quelle était cette chose dont l’urgence le surexcitait. Il le sut lorsqu’il eut atteint les Vieilles Tanneries. Tout de suite, il la trouva exemplaire et très belle : il fallait décider un groupe de soldats à déserter le même jour.

Dès lors, il eut un but. Il le poursuivit avec la ténacité d’un inventeur et la foi d’un apôtre. Chacun de ses actes en fut ennobli. Même lorsqu’il n’y songeait point, il avait l’impression de sa présence. La crainte qu’un autre être eût la même idée et le devançât, lui donnait une horrible palpitation.

Pourtant, il agit avec lenteur et prudence. Car il avait appris, au club antimilitariste, la distance qui sépare les paroles des actes, et il se souvenait aussi des conseils de François Rougemont. Il n’entreprit que les plus sûrs de ses camarades. C’étaient Jacques Bouchut, le fossoyeur ; Antoine Fagot, l’ébéniste ; Pierre Torcol, le fils d’un marchand de vins ; Alphonse Marchot, le meunier ; Paul Roubelet, le mécanicien ; Arthur Méchain, le fils d’un cocher de fiacre ; Lucien Troublon, le droguiste.

Jacques Bouchut, le fossoyeur, se distinguait par