Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/497

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Il songea à son capitaine. C’était le symbole actuel de ses rancunes. Il s’en était fait une légende sinistre ; il regrettait amèrement de ne lui avoir pas joué un sale tour avant de quitter la caserne :

« Il faut que je lui écrive une lettre d’injures », songea-t-il. Il est marié, donc je lui dirai que sa femme le cocufie dans les grandes largeurs. Et je trouverai bien des détails. Ah ! le cochon, je veux qu’il bisque ! »

Tout en se déshabillant, il développait ce projet ; il cherchait des épithètes, inventait des circonstances, et surtout voyait la « gueule du galonné ». Une idée nouvelle fulgura. Il fallait aussi écrire au ministre de la guerre, peut-être à l’Humanité ou à l’Aurore, que les neuf avaient fui les mauvais traitements du capitaine. Ainsi il serait déplacé, peut-être ; en tout cas, il piquerait de sales rages, et payerait cher les punitions qu’il avait infligées au fils du cocher de fiacre.

— Chouette ! Chouette ! s’exclamait Méchain. Ah ! vieux salaud, ça va être ton tour… On va t’en f… de la Patrie, du Drapeau et de l’Honneur !

Il en oubliait son nez, son mucus, l’avenir, il dansait en chemise devant le lit, dans une jubilation de haine, dans une convulsion de vengeance.


Paul Roubelet, ressentant les atteintes de la soif, s’était fait monter un litre de bière. Il avait demandé du faro, curieux de savourer cette boisson, dont il connaissait l’existence par des blagues de café-concert. Quoique le Petit Miroir eût pour règle de ne monter que des bières en bouteilles, on déféra au désir du mécanicien :

— C’est rigolo, s’exclama-t-il, c’est de la bière avec du sucre et du vinaigre… Tout de même, ça se laisse boire. T’en veux, fossoyeur ?

Bouchut refusa :

— J’ai pas soif.