Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/498

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Son exaltation s’était concentrée. Il avait pour son acte une estime profonde et attendrie : pendant toute son existence, il ne cesserait de travailler à la destruction des patries. Les phrases qui chantaient en lui étaient des réalités plus vastes, plus subtiles, plus durables que les réalités quotidiennes. Cependant, il connaissait une mélancolie : il revoyait son vieux père, bêchant là-bas, dans le Loiret, la terre des morts, il se souvenait de la maison et du cimetière ; des scènes tendres se liaient à des fosses et à des cercueils… Mais des événements étaient proches qui changeraient la face des nations ; l’armée chancellerait au milieu des huées ; les frontières s’évanouiraient devant les invasions fraternelles ; une félicité extraordinaire naîtrait de la disparition des rois, des généraux, des hommes politiques et des millionnaires. Jacques revivrait avec son père dans la maison rajeunie : il n’y aurait plus de fatigue, le travail deviendrait une jouissance, les fossoyeurs seraient abolis, chaque famille enterrant elle-même ses morts, avec le concours des amis et des voisins.

— On a été des hommes, Roubelet ! s’enorgueillit-il. On a eu des c… Et retiens bien ce que je te dis : ça portera l’exemple. On ne sera pas les seuls. Les désertions en masse vont commencer. C’est glorieux d’avoir été les premiers.

Roubelet ne partageait pas cet enthousiasme. Pour lui, le vrai système demeurait l’entente des soldats allemands et français. On collerait de la dynamite au derrière d’une douzaine de généraux et de trois ou quatre cents colonels, commandants et capitaines. Après, ça marcherait tout seul :

— Tant qu’à notre désertion, bien sûr, c’est pas une mauvaise chose. Ça fera de la chauffe. Y aura du bouzin. Seulement quoi ! dans quinze jours, on n’en parlera plus. Et y en a neuf qui se la caleront avec des pavés de bois !