Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/50

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Nos conscrits sont assez souples et assez doux pour apprendre le métier sans qu’on les frappe d’épouvante, sans qu’on les abaisse au niveau d’un bœuf, d’un cheval ou d’un chien. C’était si simple. Eh bien ! non. On n’a pas conçu d’autre malice que de les terrifier, de les humilier, de les torturer et de les abêtir !…

En se retirant, il rencontra deux bleus qui ronchonnaient à l’écart :

— Cochonnerie de sort, disait le premier, individu flasque, au visage enflammé d’énormes boutons couleur rosbif, quatre jours de tôle, c’est foutant !

L’autre, petit homme à tête de jars, les yeux virevoltant près des tempes, ricanait :

— C’est pas rare ! T’as pas voulu lui envoyer des champoreaux sur la dalle.

Rougemont leur jeta un coup d’œil complice et dit à mi-voix :

— Hein ! ce que vous leur flanqueriez des pruneaux dans le derrière ! Pas peur. Ça viendra. Vive la grève générale !

— Vive la grève générale ! susurra l’homme aux boutons de viande.

Et dans le geste, dans le regard, dans une indéfinissable expression, on sentait qu’il en était, qu’il prêchait, à sa manière falote et obtuse, la religion nouvelle.

Cette petite scène avait rendu sa bonne humeur au propagandiste. Il s’arrêta devant une maison en construction. Les maçons travaillaient « doucement », avec le sentiment de leur puissance et de la longueur des jours. Deux hommes gâchaient le mortier et semblaient battre quelque colossale mayonnaise, d’autres montaient des pierres, à l’aide d’un treuil, d’autres encore fixaient les blocs, numérotés d’avance, et il y en avait toujours quelques-uns qui, les bras mous, considéraient les travailleurs ou