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Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/51

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échangeaient des idées dont la simplicité s’apparente aux idées éternelles.

Cependant trois artisans dégringolèrent de l’échafaudage et, par des signes joviaux, s’invitèrent au magasin de rêves du cabaretier. Ces citoyens blanchis, dont chaque geste semait de la farine, s’élevaient à des hauteurs inégales. Le plus grand portait une chemise rousse, ouverte sur des pectoraux pareils à des seins vides ; il portait une ceinture de flanelle bleue, un pantalon de cotonnade, à raies vertes, et des godillots en forme de guitare. Sa face, plantée d’une sorte de gros tabac, gauchissait sur un cou en vrille. Le second se balançait dans des culottes énormes, qui flottaient comme des blouses ; il avait des poings crapuleux et puissants, ses dents gonflaient les lèvres, ses paupières retombaient sur des yeux miteux et d’une insolence graveleuse. Le dernier exhibait un visage fureteur, dont le sourire annonçait une vie dissolue, l’habitude de traquer et de vaincre la jeune poule faubourienne ; ses prunelles étaient fatiguées par le sable, la chaux, le plâtre et l’amour.

— Il fait chaud, là-haut ? s’exclama Rougemont avec un rire cordial.

— Tu parles ! fit le camarade aux dents renflées. On mijote comme de la mouscaille. C’est pas un turbin d’homme, c’est un turbin de chameau. Je sue que j’en pisse plus !

— J’ai le pli des jambes et des fesses comme un nourrisson, intervint l’homme aux pectoraux flasques. C’est plus rouge que de l’homard et ça cuit qu’on dirait du poivre ! Faudra que j’y foute de la poudre d’amidon.

— Chance qu’on pince pas une congestion célébrale ! ajouta le culbuteur de filles. Moi, d’abord, j’ai la tête tendre. On me dirait des fois que c’est devenu de la tête de veau, ça ne m’épaterait pas.

— Faudrait que les bourgeois bâtissent eux-