Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/501

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pier de tenture. On voyait un jeune roi Léopold et une jeune reine Marie-Henriette qui achevaient de pourrir dans le brouillard de verres décrépits. Sur la cheminée, Jean-Jacques Rousseau promenait un Émile trépané, tandis que le Vicaire savoyard élevait, à tour de bras, un cadran de laiton qui marquait minuit et neuf minutes. Par la fenêtre entr’ouverte s’estompaient la flèche de l’hôtel de ville et les deux tours carrées des Saints-Michel et Gudule.

Armand murmura :

— C’est une date solennelle. Nous nous en souviendrons jusqu’à notre dernière heure, Gustave, comme les peuples se souviennent de leurs victoires ou de leurs cataclysmes. Il faut que ce souvenir soit beau !

Il fit quelques pas, furtivement, devant le jeune Léopold et la jeune Marie-Henriette. Il ne pouvait plus retenir ses larmes ; il répéta :

— Il faut que ce souvenir soit beau !

Ses pensées, débouchant au hasard, tourbillonnaient comme une foule prise de panique ; il continuait à marcher le long de la muraille, aussi étranger à lui-même que les tours de Sainte-Gudule.

Le petit Meulière laissait tomber sa tête blonde ; il était humble, soumis, recru de fatigue et de chagrin. La vue de ce pauvre être, dont il avait bouleversé le destin, rendit la parole à Bossange :

— Ne nous dissimulons pas notre tristesse, balbutia-t-il. Nous sommes des exilés… Nous nous sommes sacrifiés à notre cause et nous devons nous attendre à de lourdes épreuves. Mais nous avons fièrement agi, nous avons eu ce grand courage de ne pas reculer devant les conséquences de nos idées. C’est commencer magnifiquement notre vie d’hommes. Vois-tu, nous en serons tout de même récompensés. Le monde nous paraîtra plus splendide, l’humanité plus haute, nous verrons plus