Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/500

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lement, laisse faire les syndicats, ne fourre pas dans le même sac des ébénisses, des meuniers, des cochers, des employés, des mécaniciens et des fossoyeurs ; il n’en sortirait que du vitriol ou de la mort-aux-rats !

— Alors, s’écria le fossoyeur en tremblant d’indignation, tu lâcherais les amis ?

— Je ne lâche personne, camarade. J’ai promis d’aller jusqu’à Bruxelles, et m’y voilà. Eux autres aussi, et ils y sont. Personne n’a promis qu’on serait une grande famille. La Grande Famille, justement, on l’a lâchée ! Si on peut se donner un petit coup d’épaule, je ne suis pas contre… et d’y aller de ma pièce de quarante sous pour un camarade dans le malheur, si tu crois que j’y refuserais, tu ne m’as pas regardé… Voilà le faro fini, je crois que je m’y ferai. Dors bien, ma vieille, et crois-moi, soigne ta gueule !

Bouchut ne répondit point. De nouveau, il suivait les lettres. Il voyait l’ébahissement du ministre de la guerre, la jubilation des antimilitaristes, un grand article dans la Guerre sociale, signé par Hervé lui-même, et sa cervelle bouillante chassait les doutes comme des scories.


Lorsqu’il fut seul avec le petit Meulière, Armand se sentit les omoplates gelées. La tristesse était dans sa poitrine comme un poids mou, qui palpitait avec le cœur. Il agrippa les épaules de Gustave, le regarda en face et murmura :

— Nous ne nous quitterons jamais !

— Oh ! non… jamais, jamais ! répondit convulsivement le petit Meulière.

Puis, ils détournèrent leurs yeux, dont les cils se remplissaient d’eau, et considérèrent leur chambre. Elle était basse mais spacieuse. Des chasseurs rouges, montés sur des chevaux cacao, poursuivaient un cerf gomme gutte, tout au long du pa-