Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/503

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voir le désert, la sylve brésilienne, le Mississipi, la Cordillière des Andes ; certaines pluies qui chuchotaient contre les vitres, qui disaient l’eau féconde, la vie primitive, qui donnaient une saveur si pénétrante à la lecture, ou qui faisaient de la chambre une arche flottant sur le ciel, un refuge où l’on attendait des sortilèges…

La famille apparut. La mère aux cheveux gras, toujours prêts à lâcher leurs peignes et leurs épingles, aux pantoufles béantes et aux mains sales… Qu’il l’aimait maintenant, que son incurie, ses propos désarticulés, sa fainéantise bénévole semblaient chérissables ! Comme il voudrait entendre la voix de fouet, les propos au vitriol de Marcel, revoir sa face blême, violente, sardonique, ses yeux agressifs !… Surtout, il songeait au père. Tout à coup, il le comprenait : c’était la race, l’amour lié à l’humanité profonde, un dévouement qui voyait au delà du temps, au delà de la mort. Ah ! le visage usé par la désillusion, les yeux creusés par la déchéance, la volonté tenace de remettre ses fils dans leur milieu héréditaire, tant d’humiliations, de morsures, de souffrance muette !… Quel coup il allait recevoir ! Il ne dirait rien. Il s’assoirait au bout de la table de sapin, dans l’angle de la fenêtre, avec des joues de plomb, des lèvres mortes, et de si pauvres paupières ! Puis, il resterait là, à souffrir sans arrêt, sans limites, à user encore son cœur las, à empoisonner tout le sang de ses veines…

Alors, les sanglots se multiplièrent dans la poitrine d’Armand ; le goût de la vie l’écœurait, il était ainsi qu’un assassin et aussi un déchet, une pourriture jetée au hasard, une carcasse obscure, dérisoire et sinistre.