Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/510

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— Et ils n’auront rien obtenu !

— Ils ne doivent rien obtenir. Ce serait ridicule. La situation de l’imprimerie et de la librairie s’y oppose. En exigeant trop, ils travaillent contre eux-mêmes ; ils poussent le patron à se porter dans la grande banlieue et en province. Mes hommes ne sont pas malheureux !

— Pas malheureux ! cria Duchaffaud. Misère ! On turbine neuf heures pour une croûte de pain, on se f… la tuberculose pour vivre et vous trouvez qu’on n’est pas malheureux !

— Des phrases ! Mes ateliers sont sains, bien aérés, pleins de lumière. Aucun de vous ne supporte de grandes fatigues. Vous le savez bien, au fond. Ceux qui ont la tuberculose ne l’ont pas attrapée ici. La plupart sont allés la prendre chez le mastroquet.

— Pas vrai ! rauqua Burgas… je ne bois que du vin.

Il se campa devant l’éditeur, et, crispant ses poings maigres, par trois fois il se frappa la poitrine :

— J’ai à vous dire que la mort est là-dedans ! C’est pas du truqué, c’est pas du chiqué, c’est la mort… Celui que vous voyez ici, Pierre Burgas, mangera le pissenlit par les racines avant la fin de l’hiver. Et y aura pas de Fallières pour lui signer sa grâce. Alors, pas d’erreur ! Je suis sorti de ma mère frais et bien portant. J’ai été un gosse solide, j’ai été un conscrit râblé, qui vous bouffait ses soixante kilomètres et qui grimpait les côtes au pas gymnastique. Et tu sais, le nez sec, le soufflet qui ne ronflait pas. Tant qu’à l’hygiène, j’ai mon Raspail, je vous prie de croire qu’il s’y connaît. Et pourtant me voici avec des truffes plein les poumons et des trous gros comme le poing. Vous n’allez pas me dire que c’est venu tout seul ? Si vous ne le savez pas, c’est moi qui vous renseigne.