Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/521

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mouchoir dessus. Si nous échouons, vous la ressortirez !

La foule eut un bon rire ; tous les visages acquiescèrent. Barraut voulait bien et Semail, les sourcils bas, ricanait sans amertume.

— Allons-y ! s’écria le propagandiste. Mais gardons-nous de prendre contact avec les flics !

— Sept par sept ! cria Semail qui aimait la discipline.

On voyait des têtes de cabires hilares, des cyclopes graves, des banlieusards blêmes sous la limaille ; quelques-uns rejetaient en arrière un chapeau aux ailes longues, d’autres renfonçaient la casquette ou la soulevaient sur une oreille, la plupart avaient des chapeaux de paille fumés. Il s’échappait d’eux une odeur de vin, d’apéritifs, de sueur, de métal, avec des bouffées d’oignon et de fleur indéfinissable des agglomérations humaines. À travers les cendres, les tessons, les gravats, et sur la route blafarde, ils formèrent une manière de procession. Rougemont s’était mis à leur tête avec celui de la C. G. T., Semail, Barraut Hareng, Jacques Lamotte, Barjac, Hanotteau le Lapin-Blanc, l’Homme-Pilon et Fichet.

— Attention aux flics !

Quatre sergents de ville déambulaient sur la route. L’un d’eux avançait une tête de chien de ferme :

— Allez, leur dit gaiement François, nous n’avons pas l’intention de mettre le feu aux forges. Nous sommes du monde paisible… on ne plumera pas une poule.

L’agent promena sur la foule ses gros yeux jaunes et ne vit que des faces joyeuses :

— C’est bon ! Seulement, n’approchez pas des établissements, et méfiez-vous du chambard !

La grève se glissa entre deux maisons d’aventure, aux toits inachevés et aux vitres rafistolées