Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/531

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leurs gestes, dès qu’il se faisait du bruit. La troupe était venue. Tantôt les meneurs de la C. G. T. adressaient aux soldats des sommations amicales, tantôt la foule proférait des injures. Les manifestations se suivaient, selon le temps et les palabres ; l’entente demeurait lointaine ; et toutefois la grève devenait vague, lorsqu’on annonça un grand Dimanche. La Voix du peuple le voulait pacifique, ferme et très imposant ; la Guerre sociale conseillait aux grévistes de ne pas se laisser « embêter ».

Dès le matin, les tramways, le chemin de fer, maints chars à bancs, déchargèrent des voyageurs armés de gourdins et de triques. Outre les vieux routiers de grève, c’étaient des camarades, attirés par le bruit ou l’instinct solidaire, et beaucoup d’individus obscurs, véhéments ou curieux. Malgré les cordons de police, les grévistes tentèrent de se masser devant les forges : une menue charge de dragons les dispersa. Alors ils se réfugièrent dans la campagne et les terrains vagues. Un homme à face de mulâtre éleva le premier drapeau rouge. Sept cents travailleurs formèrent un noyau, tandis qu’une multitude confuse se tassait en grappes ou s’allongeait en files. C’était la horde des temps nomades, faite pour combattre des buffles ou des loups, faiblement cimentée par l’instinct. Rougemont y avait pris sa place, prêt, selon l’occurrence, à discourir, à commander ou à combattre. Un groupe l’enveloppait, solide, formé d’hommes du fer, renforcé par Alfred le Géant rouge, Dutilleul et ses Six Hommes, Pouraille, la Trompette de Jéricho, Haneuse Clarinette, l’Empereur du jeu de bouchon, Vacheron, Duchaffaud, Bardoufle.

La procession brailla la Ravachole et se porta vers l’entrée d’Arcueil : elle n’y put atteindre. Un escadron de cuirassiers barrait la route ; des dragons accouraient sur le flanc droit ; des sergents de ville harcelaient l’arrière. D’abord, le troupeau