Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/534

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noirs et moroses qui souillaient les uniformes. Ils n’arrêtaient pas les dragons. Sabre au clair, ils chargèrent en vitesse. Les lames pointaient ou hachaient, les gourdins s’abattaient sourdement, le sang coulait des faces. Enchevêtrés, les assaillants évoluaient avec peine. Toutefois quelques soldats ayant contourné les obstacles, le courage des grévistes s’évapora, une furieuse panique les rejeta vers le grand hangar, et, la barricade abattue, deux cents dragons chevauchèrent. Ils ne rencontraient que le vide ; à peine quelques frénétiques tombaient aux sabots des bêtes, le demeurant s’éparpillait aux quatre horizons ou se cachait parmi les masures.

Ce n’était qu’une échauffourée d’avant-garde. Les barricades du grand hangar demeuraient intactes, trois mille hommes s’y tassaient, chantant et clabaudant ; les orateurs tonnaient de courtes harangues ; les fiévreux lançaient des projectiles dans le vide ou brandissaient des revolvers.

Ayant déblayé la route, les dragons se reformèrent en bataille et attendirent les renforts. Il y eut deux escadrons de cuirassiers, trois de dragons, deux cents sergents de ville. Les cuirasses furent une fournaise d’argent ; les casques déferlèrent en vagues de phosphore ; la police forma des blocs noirs. Cette force demeurait indécise. Elle s’accumulait près des barricades du nord et de l’est ; une partie débordait au midi ; l’occident seul demeurait encore libre. Au loin, le général Thénars et le préfet de police conversaient.

Après un mouvement d’estafettes, les dragons prirent du champ et vinrent à portée, les cuirassiers étincelèrent à deux cents mètres des palissades : les grévistes, au hasard, lançaient des blocs de bois, du coke, de la ferraille, des plâtras énormes. Un cavalier se mit à saigner, un autre eut la paupière meurtrie. La pierraille rebondissait sur le crâne des chevaux, les poitrines ou les casques des hommes :