Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/535

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c’est alors qu’on vit arriver le préfet. Six agents énormes barricadaient son corps grêle. Dans sa face maigre brillaient des prunelles attentives, hardies, sagaces. Quand il fut proche, il interpella les émeutiers :

— Retirez-vous… On va charger !

Des plâtras, des cailloux, des huées ripostèrent :

— Mort au préfet ! À bas les assassins ! Cuirassiers, nous sommes vos frères… Dragons, f… vos officiers sous les chevaux. Crosse en l’air ! Vive le 17e !

Le préfet, essuyant tranquillement son épaule enfarinée de plâtre, reprit :

— Que les bons citoyens se retirent… On va tirer.

Pierres, coke et ferraille pleuvaient sans intervalle ; huit fois, le préfet renouvela les sommations. Deux escadrons mirent pied à terre. Alors des revolvers fumèrent derrière la barricade, un cavalier dégringola :

— Armez ! cria un capitaine.

Les dragons épaulaient ; d’un geste et d’un ordre, le préfet les contenait encore, mais de nouveaux coups de revolver ayant retenti, la troupe tira à son tour. Avec des cris d’horreur, une flaque d’hommes détalait vers l’occident. D’autres, acceptant la lutte, répondaient aux salves par les crépitements de leurs revolvers. On les voyait debout, accroupis ou couchés, plâtrés et charbonnés, avec les courges étranges des crânes, les visages blêmes ou violâtres, glabres ou couverts d’une barbe salie, les petits brasiers des yeux brûlant le feu d’âme, les trous noirs des bouches exhalant l’injure, le refrain ou le rauquement de bête. Aucun n’était blessé, les dragons ayant tiré haut : les balles filaient en longues trajectoires, à peine dangereuses pour des inconnus qui passaient là-bas, sur les sentes désertes. Trois, quatre salves bruirent, inoffensives.