Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/541

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un personnage de cinématographe. Sa chevelure donnait aux scènes une signification bizarre et charmante…

— Nous triompherons, balbutia le blessé. Nous l’aurons, ce monde que les autres nous volent depuis si longtemps.

Ces paroles s’étaient déclenchées sans qu’il les eût senties venir. Tout de suite, elles se rattachèrent à Christine. Il entrevit quelque chose de frais, de fortuné et d’indéfinissable. L’univers serait doré par le bonheur, les hommes se lèveraient parmi des choses aussi jeunes que le blé d’avril… Il tressauta, ses blessures s’exaspérèrent : il venait d’apercevoir, aux fortifications, Delaborde qui portait à ses lèvres la main de la jeune fille.

— Ils nous ont tout volé, murmura-t-il, les tempes trempées de sueur… ils devront tout nous rendre.

Puis :

— Elle n’est pas blessée ?

Et plus bas :

— Mademoiselle Christine Deslandes ?

— Non, elle n’est pas blessée ! répondit Alfred.

Il les regarda d’un air pitoyable. Ah ! qu’il aurait voulu qu’ils lui parlassent de Christine. Sa ruse d’orateur, toujours éveillée au fond de l’inconscient, lui dictant un détour, il dit, sincère d’ailleurs, et tout attendri :

— Camarades… il m’est doux de vous voir autour de moi… il y a longtemps que vous êtes de ma famille… des compagnons fidèles et loyaux… et de si braves gens !

Alors, le grand Alfred se sentit faible comme un petit enfant ; la poitrine de Dutilleul craquait ; Pouraille détourna une face égarée ; Gourjat cacha ses yeux pleins de larmes, et, dans son encoignure, Bardoufle, ayant saisi son mouchoir à pleins poings, contenait les longs sanglots qui lui crevaient la gorge.