Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/542

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— Patience ! reprenait le révolutionnaire. Vous n’aurez pas perdu votre temps… vous aurez votre part dans les grandes choses qui se préparent… et comme chez tous ceux qui travaillent pour les autres, vos cœurs resteront jeunes.

Il ferma les yeux, il s’ensevelit dans sa fatigue et ses rêves. Quand il releva les paupières, il demanda :

— Est-ce qu’ils ont encore tué des hommes ?

— Non ! répondit Alfred, ils en ont encore blessé une vingtaine. On le leur a rendu.

— Et les Jaunes ?

— Les grévistes ont à peine eu le temps de leur taper dessus !

— Mais ils n’ont pas frappé la jeune fille ?

La voix cassée de Bardoufle bégaya :

— Oh ! elle vous tenait la tête !… Et celui qui l’aurait touchée !…

Il s’était redressé ; il dilatait ses pinces effroyables.

La fièvre bondissait par les tempes de Rougemont. À l’idée que les mains de Christine avaient soutenu sa tête, toute sa chair débile devint une féerie ; il épiait Bardoufle comme un témoin prodigieux. Alors, dans son cœur simple, le terrassier trouva les paroles nécessaires :

— Vous lui avez sauvé la vie, elle le sait bien, et si vous voulez la voir, c’est moi qui irai la chercher.

François fixa sur Bardoufle un regard suppliant.


Christine était venue. Elle se tenait, accablée de compassion, devant l’homme qui mourait à cause d’elle. Avant une heure, il aurait sombré au chaos immense. Et songeant avec quelle force confiante il se levait dans la vie, elle eut, pour la première fois, le sens réel de sa propre faiblesse, elle regretta amèrement l’amour qui allait disparaître. C’était un grand amour, fait pour la durée, tel que, sans