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Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/544

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ces fictions par quoi l’on soutient les faibles et l’on console les misérables. Elle voulait ardemment que nos actes et nos vœux dérisoires s’accordassent avec une réalité positive. Il lui était dur de se prêter à « un jeu de foi… » Était-ce bien un jeu ? N’aimait-elle pas le moribond, du moins pour les minutes pendant lesquelles il palpiterait encore ? Elle secoua la tête et, clignant un peu, la lèvre tremblante, elle répondit :

— Sans doute, nous nous reverrons ! Est-il possible, maintenant, que nous ne nous revoyions pas ?… La vie fera ce qu’elle voudra, je ne lutterai pas inutilement contre elle.

Il plissa le front, il se répéta plusieurs fois les paroles de Christine, craignant de mal les entendre, puis la féerie le ressaisit, il s’exclama :

— Est-ce que j’ai mal compris ? Est-ce bien une espérance ?

Complice mélancolique du beau mensonge, elle inclina la tête.

Il fixait sur elle des prunelles dévorantes, il voyait se rouvrir le monde plus vaste encore qu’aux printemps de l’adolescence. Tous les obstacles étaient abolis. Le bonheur des hommes se confondit avec son propre bonheur ; la vieille Europe lasse reverdissait en terre promise, les luttes sauvages étaient finies…

Christine attendait, pleine d’angoisse et d’une âpre défiance. Jamais l’illusion du bonheur ne lui était apparue plus misérable et plus sinistre, jamais la réalité n’avait plus implacablement appesanti son bloc sur la faible poussière des fables. Ah ! elle ne serait pas dupe ! Elle mépriserait, sans lassitude, le désir du repos, de l’éden, de la paix brillante…

Cependant elle avait pris la main de François, elle la tenait avec une douceur et une patience maternelles. Longtemps leurs pensées coulèrent, paral-