Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/61

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lique, s’attacha aux presses plates disposées sur deux rangs, sous un des côtés de la galerie. Des margeuses, à intervalles précis, y glissaient une feuille qui s’abattait blanche et ressortait imprimée.

— Vous regardez mes petites plates ? fit Delaborde. Ce sont des artistes, tandis que la rotative est une énorme bonne à tout faire. Grâce à elles, j’arrive à la perfection typographique. Si grand que soit le diamètre, une surface courbe ne peut pas imprimer avec une égalité rigoureuse : il y a toujours un déchet, invisible au profane, mais que saisit l’œil amoureux de la beauté des caractères. Ce qui est vrai pour les surfaces courbes l’est, jusqu’à un certain point, pour toute surface un peu grande. Avec mes petites presses, j’obtiens le tirage impeccable ; le microscope même ne signale aucune lacune ni aucune déformation. Les petites plates sont exclusivement destinées aux beaux volumes, à ceux qui portent mes marques : le grillon d’or ou le lézard de bronze vert. La rotative pond le gros article…

Rougemont considéra une minute encore ces appareils délicats, servis par de jeunes margeuses bien coiffées, le grillon d’or piqué dans la chevelure. Puis sa rétine s’arrêta sur un hercule roux qui présidait à l’ébarbage du papier, sur les typos, sur un mécanicien maigre, le buste serré dans la salopette. Il circulait avec une vitesse surprenante, fixait sur les machines un œil d’épervier, et se précipitait avec le tournevis ou la pince, comme s’il fondait sur une proie. Les pommettes et le menton saillaient en îles escarpées. Il avait le teint safran, une barbe goudronneuse et des mains d’escamoteur.

— C’est votre mécanicien ? demanda François, intéressé par les voltiges de cet homme.

— C’est le contremaître mécanicien, Marcel Deslandes, un homme extraordinaire par son activité, sa droiture et son bon sens.