Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/62

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— Je crois bien ! s’exclama le propagandiste en riant. Un de vos terre-neuve.

— Ce serait encore bien plus un terre-neuve d’ouvriers, s’ils distinguaient leurs intérêts véritables.

Rougemont ne répondit pas. Il venait d’apercevoir l’atelier de brochure et, près de la baie, sous le lézard vert, une chevelure brillante. Il reconnut les lignes audacieuses, la pâte riche et sensuelle des joues, ces yeux de Sicile ou d’Estramadure. Les mains de la jeune fille joignaient les feuilles d’un coup d’aiguille, sec et précis comme le coup de pince ou de tournevis du frère.

— Ah ! fit en riant Delaborde, après le frère, la sœur. Ils se valent. Quelle bonne race ! C’est sain, c’est avisé, c’est infatigable — ça sait faire de ses mains tout ce que ça veut. Elle apprendrait trente-six métiers. Et elle les connaîtrait à fond.

— Âpre au gain ? demanda Rougemont.

— Elle ne crache pas sur l’argent. Elle y croit. Elle en connaît les mérites. Mais les Deslandes ne sont pas de la graine d’avares. Ils savent donner.

— Alors, c’est de la graine d’exploiteurs ! dit François avec rudesse.

— Oui, comme moi ! Ils connaissent l’art de mener, d’orienter et d’utiliser les hommes. Je ne sais si Marcel fera fortune : il se laisse absorber par la politique. Mais pour la sœur, j’en jurerais. Et instruite, et du goût. Voyez ses frusques : c’est une modeste reliure, mais quel parti elle en tire !

Il parlait d’une voix contenue, où Rougemont discernait une exaltation de vieil homme. Les joues enflaient leurs veines, comme des cuisses variqueuses, les grosses paupières flageolaient ; le nez avait des frémissements de bourdon, et le désir, au fond des yeux roux, brûlait à flamme haute. Cette émotion courrouça le révolutionnaire. Il laissa tomber la conversation, il suivit Delaborde en silence.

Ils passèrent d’abord auprès de la grande rotative.