Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/82

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meurt pas. Et c’est des hommes du génie ? Ah ! bien, du génie ! S’ils les retirent crevés, ça sera la faute du ministère. C’est vous qui nous conduirez à la Confédération. On chambardera ferme, que je dis !

Il tirait la manche du propagandiste, qui l’écoutait avec indulgence. Pouraille pouvait servir à faire un groupe, un noyau de ralliement et de fièvre. Car Rougemont rêvait toujours à quelque manifestation. Elle marquerait le départ de sa propagande ; son nom se répandrait ; son autorité existerait d’emblée. Et il souriait, n’étant pas blasé encore ; peut-être ne le serait-il jamais : il aimait follement ces aventures où un homme secoue l’inertie des masses, où la flamme émeutière jaillit d’une frêle étincelle.

— Vous avez raison, répondit-il mécaniquement. Si des bourgeois étaient enterrés là, on aurait bien trouvé moyen de les sortir plus vite…

— À bas le coffre-fort ! hurla Pouraille.

Ce cri répandit la joie parmi de jeunes voyous engagés dans une partie de saute-mouton. Ils se rassemblèrent comme des corneilles autour d’une taupe crevée. Leurs glapissements se répandirent jusqu’à la femme Préjelaud, qui leva sa face terreuse, tandis que la mère Chicorée cessait de renifler une prise.

— Pas maintenant ! fit le révolutionnaire à l’oreille d’Isidore. Il faut attendre la sortie des ouvriers.

Au reste, six heures sonnaient. On discernait au loin des silhouettes sombres, menues comme des insectes. Il en venait des grandes usines de Montrouge, des chantiers de Gentilly, des fabriques et des ateliers du faubourg. Ceux de Delaborde furent parmi les premiers. Ils arrivaient en troupes, typos, minervistes, linotypistes, relieurs, margeuses et brocheuses.