Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/87

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un grand nombre de spectatrices, qui la connaissaient bien, chuchotaient entre elles :

— Elle a moins mangé encore qu’à l’ordinaire.

La femme Préjelaud se le dit aussi ; elle cessa de mordre dans son quignon de pain ; elle remplit une assiette pour la compagne du grand Alexandre, en murmurant :

— On est tous frères et sœurs devant de pareilles misères.

Des hourras fendirent l’étendue ; un ban claqua ; les dames miaulaient avec sentiment, tandis qu’une horde de gamines, montées sur un vieux wagon, agitaient des mouchoirs et des paquets d’herbes.

« Voilà enfin une bonne foule » ! se dit Rougemont.

Il songea aux paysans de l’Yonne, dont la turbulence lui avait valu tant de journées exaltantes. Et une rumeur se mit à frémir. Partie du cordon des sergents de ville, elle zigzaguait, revenait sur elle-même, rebondissait, se répandait jusqu’aux groupes qui continuaient à surgir des fortifications, d’Ivry, de Gentilly, du Grand-Montrouge.

— On va les sortir !

D’abord la phrase se transmit courte et précise. Puis, elle commença à s’accroître et à se parer : on avait entendu des plaintes ; quelque chose remuait ; un soldat venait de déterrer une main ; le grand Alexandre était fou et chantait sous terre. Au hasard des mots, la foule bourdonnait et se répandait en huées ; des chocs brusques la précipitaient vers la fosse ; tous les vides se comblèrent ; des pressions furieuses faisaient glapir les femmes et piauler les enfants ; et les sergents de ville, ahuris, pressaient tous ensemble sur l’avant-garde sans parvenir à la refouler…

Cependant, avec d’extrêmes précautions, les sauveteurs continuaient à fouiller la terre. Ils approchaient du but. Ils en furent assurés lorsque l’un