Si M. Rodenbach rappelle le poète des Intimités,
M. Emile van Arenbergh est un ciseleur à la José-Maria
de Hérédia, M. Max Elskamp un Coppée « moderniste »,
M. Gilkin, un Baudelaire baudelairisant,
M. Albert Giraud, l’auteur de Pierrot lunaire (1884),
de Hors du Siècle (1886), des Dernières fêtes, de Pierrot-Narcisse
(1891), est un Banville plus redondant
en général et plus fastueux que le chantre des Exilés.
M. Giraud, pour considérer un instant cette figure
intéressante de coloriste somptueux et de pétulant
artiste, n’a pas versé dans la recherche et l’étrangeté.
Il manie une langue savoureuse et pure, harmonieuse
et riche, avec une pointe d’acrobatie et un certain goût
d’emphase, ou, dans les incarnations de Pierrot, alerte
et spirituelle. Je ne saurais mieux le définir qu’en le
citant. Je lui emprunte d’abord un superbe sonnet en
l’honneur de M. Camille Lemonnier, le puissant et
farouche romancier, le chef du « jeune mouvement
littéraire belge » :
Ta gloire évoque en moi ces navires houleux
Que de fiers conquérants aux gestes magnétiques
Poussaient, dans l’infini des vierges atlantiques,
Vers les archipels d’or des lointains fabuleux.
Ils mettaient à la voile en ces soirs merveilleux
Où le ciel, enflammé des rougeurs prophétiques,
Verse royalement ses richesses mystiques
Dans le cœur dilaté des marins orgueilleux.
Et les hommes du port, demeurés sur les grèves,
Regardaient s’enfoncer les mâts comme des rêves
Dans l’éblouissement de l’horizon vermeil ;
Et leurs cerveaux obscurs, à la fin de leur âge,
Se rappelaient encor le splendide mirage
De ces grands vaisseaux noirs entrés dans le soleil.