Page:Rostand - Chantecler.djvu/208

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LE MERLE.

Comment ! c’est en blaguant maintenant, qu’il me gifle ?

CHANTECLER.

Le meilleur des siffleurs, c’est un chanteur qui siffle !

LE MERLE.

Mais…

CHANTECLER.

Tu m’as dit : « Vas-y ! » J’y vais. Ça te vexa ?

LE MERLE.

Je…

CHANTECLER.

Je… Le Chef de Rayons te sert. — Et avec ça ?

LE MERLE, vivement.

Rien !

Il veut s’éloigner.
CHANTECLER, le suivant.

Rien ! Tu veux imiter le Moineau ? Mais sa blague
N’est pas une prudence, un art de rester vague,
Un élégant moyen de n’avoir pas d’avis :
Il a toujours des yeux furieux ou ravis.
Et veux-tu, maintenant, la clef d’or qui remonte
Comme un joujou charmant sa blague jeune et prompte ?
Le veux-tu, le secret par quoi ce camelot
Sait nous cambrioler le cœur avec un mot,
De sorte qu’il n’est rien, à lui, qu’on ne pardonne ?
— « Le voulez-vous ?… Un sou ? deux sous ? Non, je le donne !
Demandez le secret du Moineau de Paris ! »
C’est que ses cris railleurs sont des cris attendris,
C’est qu’il est libre et fier, c’est qu’il croit, c’est qu’il aime,
C’est que, seuls, les barreaux d’un balcon du cinquième
Où pour lui quelque enfant aura mis le couvert
Formeront un instant sa cage à ciel ouvert ;
C’est qu’on peut être sûr qu’il a l’âme gamine
Puisqu’il a gaminé lorsqu’il criait famine ;
Son fameux : « Oh ! la la ! » qui nargue le passant
N’est qu’un cri de douleur dont on changea l’accent…