Page:Rostand - Discours de réception, 1903.djvu/42

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le fameux livre au-dessus duquel se joignirent des lèvres, il maudissait la page ardente qui fit naître l’amour dont on meurt. S’il avait eu des fils, il aurait maudit plus encore les nonchalantes lignes qui conduisent aux indifférences dont on vit. S’il avait eu des fils, il aurait redouté plus que tout au monde l’égoïsme narquois, la veulerie brillante, les abdications enjouées. Il aurait profondément senti, s’il avait eu des fils, combien le bruit d’un baiser peut être moins dangereux que le silence d’un sourire ! Le poison d’aujourd’hui, celui qu’on n’a plus le droit de doser, pour assuré qu’on soit de la prudence des compte-gouttes, c’est l’essence délicieuse qui endort la conviction et tue l’énergie.

Il faut réhabiliter la passion. Et même l’émotion, qui n’est pas ridicule. Il est temps de rappeler à ces Français timides qui ont toujours peur de ne pas avoir l’air d’être nés assez malins, qu’il peut y avoir toute la finesse moderne dans un œil résolu ; qu’un certain genre d’ironie ne fait plus désormais partie que des élégances de bons élèves ; et que la blague, impertinence dont croient se rajeunir les plus bourgeoises sagesses, n’est que le monocle par quoi Joseph Prudhomme essaye de remplacer ses lunettes ! Rien de plus lourd que les désinvoltures. Pirouetter, c’est se visser au sol. Le véritable esprit est celui qui donne des ailes à l’enthousiasme. L’éclat de rire est une gamme montante. Ce qui est léger, c’est l’âme. Et voilà pourquoi il faut un théâtre où, exaltant avec du lyrisme, moralisant avec de la beauté, consolant avec de la grâce, les poètes, sans le faire exprès, donnent des leçons d’âme ! Voilà pourquoi il faut un théâtre poétique, et même héroïque ! Et je songe, — oh ! vous m’en excuserez tout à l’heure ! – je