Page:Rostand - Discours de réception, 1903.djvu/43

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songe à ces correspondants qui me faisaient sortir quand j’étais au collège. La plupart, n’admettant pas les joies inutiles, me menaient visiter des monuments et des musées, au ronron d’une causerie instructive, et, après cette bonne petite fête didactique, me reconduisaient un peu las, et n’en sachant pas davantage. Mais il y en avait un qui arrivait brusque, pimpant, la moustache ébouriffée, l’œil bleu : je le vois encore. Il m’enlevait gaiement, me transportait dans des paysages bien choisis, et me contait de belles histoires de guerre et d’amour. Parfois un de ses mots avait l’amertume saine d’une feuille de laurier qu’on mâche ; il était jusqu’au soir étincelant sans y tâcher, ou profond comme par mégarde ; il me ramenait ébloui et reposé ; il m’avait appris de tout sans avoir l’air de rien ; j’entends encore sa voix charmante ; il s’appelait Villebois-Mareuil. Eh bien ! les personnages de théâtre sont les correspondants chargés de nous faire sortir de cet éternel collège qu’est la Vie — sortir pour nous donner le courage de rentrer ! et sans médire de ceux qui, dans notre intérêt, nous gâtent un peu nos dimanches, celui qui nous fait encore le mieux sortir, c’est un héros !

… C’est à quelque héros que rêvait M. de Bornier lorsqu’il porta la main à son cœur, et défaillit. La Mort vint fixer à son visage la beauté que l’inspiration y faisait passer. M. de Bornier avait tellement laissé battre son cœur pour le compte de héros trop généreux, qu’il s’était arrêté, ce cœur, admirablement usé. Un petit habit vert tombe sur un cercueil pas bien long. C’est un académicien qui s’en va sous les cyprès. Rien n’a manqué au Dernier Tragique. Sa vieillesse dut être