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ABRAHAM
COMÉDIE
PAR HROSWITHA.

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NOTICE
SUR HROSWITHA ET SUR LA COMÉDIE D’ABRAHAM.


La pièce qu’on va lire est la traduction littérale d’une des six comédies de Hroswitha. Ces comédies, composées au dixième siècle, dans un couvent de la Basse-Saxe, sont un des chaînons, le plus brillant peut-être et le plus pur, de cette série non interrompue d’œuvres dramatiques, jusqu’ici trop peu étudiées, qui lient le théâtre païen, expirant vers le cinquième siècle, au théâtre moderne renaissant dans presque toutes les contrées de l’Europe vers le treizième.

Nous traduirons successivement ces six pièces, et quelques autres de cette époque intermédiaire. Plus tard nous donnerons les détails assez nombreux que nous avons recueillis sur la vie et les ouvrages fort variés de cette femme illustre. Nous nous bornerons à dire aujourd’hui qu’elle vivait sous l’abbesse Gerberge II, à qui elle dédia plusieurs de ses poèmes, et sous l’empereur Othon II, c’est-à-dire vers l’an 980, dans le monastère de Gandersheim, près du fleuve Ganda, où elle était simple nonne. Son nom en bas allemand signifie rose blanche, gracieuse dénomination fort commune au dixième siècle, et dont la rencontre fréquente a fait tomber les érudits modernes dans plusieurs méprises.

La comédie d’Abraham, que nous traduisons aujourd’hui, est écrite en latin, comme toutes les productions littéraires de cette époque ; elle est en prose, ainsi que les cinq autres pièces du même auteur. Celui qui trace cette note rapide a eu récemment l’occasion de montrer quelle place éminente et exceptionnelle ces six comédies tiennent dans la littérature scénique du moyen-âge[1]. Ces six petits drames monastiques sont un reflet de l’antiquité classique, une imitation préméditée des comédies de Térence, imitation peu reconnaissable assurément et fort détournée, sur laquelle le christianisme et la barbarie du Nord ont déposé leur double empreinte. Mais c’est précisément par ce qu’elles offrent de chrétien et même de barbare, c’est-à-dire par ce que leur physionomie a de moderne, que ces comédies nous ont paru mériter de prendre place dans le péristyle du Théâtre Européen.

Abraham est, des six comédies de Hroswitha celle qui blesse le moins nos idées et nos habitudes théâtrales. Il y a dans les cinq autres, une seule peut-être exceptée[2], ce que la critique moderne appellerait des défauts de composition fort choquants. Nous ne traduirons pas avec une moindre fidélité ces pièces plus irrégulières et æsthétiquement moins parfaites ; car lorsqu’il s’agit de monuments d’une époque si reculée et si peu connue, les défauts littéraires ne sont, à notre avis, ni moins curieux ni moins instructifs que les beautés.

Le sujet de la comédie d’Abraham est pris d’une légende écrite au quatrième siècle par saint Ephrem, diacre d’Edesse. On peut lire cette vie de saint Abraham dans les histoires des pères du désert, traduites par Arnauld d’Andilly. Hroswitha, comme Shakspeare, qu’on nous pardonne ce rapprochement qui ne tire pas à conséquence, Hroswitha n’a inventé presque aucun des sujets qu’elle traite ; elle dramatise les agiographes et les légendaires des cinq et sixième siècles, comme l’auteur d’Othello a dramatisé, à la fin du seizième siècle, les nouvellistes des quatorzième et quinzième siècles ; c’est la marche normale et naturelle de l’art.

Malgré la source respectable où a puisé l’auteur d’Abraham, le sujet de cette pièce pourra bien n’en pas paraître moins hasardé

  1. Dans un cours sur les origines du théâtre moderne, professé à la faculté des lettres de Paris, en 1834 et 1835. Ce cours sera publié chez M. Hippolyte Prevost
  2. Callimaque, drame plein de poésie, de mouvement et de passion. Le dénouement de cette pièce, qui peut donner une idée de l’amour tel qu’on le concevait au dixième siècle, rappelle les derniers actes de Roméo et Juliette.
TH. ANTÉRIEUR À LA RENAISSANCE