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ABRAHAM,

ABRAHAM.

Si j’emportais l’unique pièce d’or que je possède pour payer l’hôte de ma nièce ?

L’AMI.

Sans cela vous ne pourriez parvenir à entretenir Marie.


Scène V[1].

ABRAHAM, L’HÔTELIER.
ABRAHAM.

Salut, bon hôtelier.

L’HÔTELIER.

Qui me parle ? Hôte, salut !

ABRAHAM.

Avez-vous de la place pour un voyageur qui veut passer la nuit chez vous ?

L’HÔTELIER.

Oui, sans doute ; nous ne devons fermer notre petite hôtellerie à personne.

ABRAHAM.

C’est très bien.

L’HÔTELIER.

Entrez, on va vous préparer à souper.

ABRAHAM.

Je vous dois beaucoup pour ce bon accueil ; mais j’ai quelque chose de plus à vous demander.

L’HÔTELIER.

Demandez ce que vous voudrez ; je vous l’accorderai, si je le puis.

ABRAHAM.

Acceptez ce petit présent que je vous offre, et faites en sorte que cette belle fille qui, je le sais, demeure chez vous, soupe avec nous ce soir.

L’HÔTELIER.

Pourquoi voulez-vous la voir ?

ABRAHAM.

Parce que le fréquent éloge que j’ai entendu faire de sa beauté m’inspire un vif désir de la connaître.

L’HÔTELIER.

Ceux qui vantent sa beauté ne mentent point, car les graces de son visage surpassent celles de toutes les autres femmes.

ABRAHAM.

De là vient que je brûle d’amour pour elle.

L’HÔTELIER.

Vieux et décrépit comme vous êtes, je m’étonne que vous puissiez brûler d’amour pour une jeune femme.

ABRAHAM.

Je vous assure que je ne viens ici que pour la voir.


Scène VI.

LES PRÉCÉDENTS, MARIE.
L’HÔTELIER.

Avancez, Marie, et faites admirer votre beauté à ce néophyte.

MARIE.

Me voici.

ABRAHAM, à part.

De quelle assurance, de quelle fermeté d’esprit ne dois-je pas m’armer pour voir celle que j’ai nourrie dans les retraites de mon ermitage, chargée des parures d’une courtisane ? Mais il n’est pas temps que mon visage révèle ce qui se passe dans mon cœur. Je retiens avec un mâle courage mes larmes prêtes à couler, et sous une feinte gaîté, je cache l’amertume intérieure de ma douleur.

L’HÔTELIER.

Heureuse Marie, réjouissez-vous, car aujourd’hui, non-seulement les jeunes gens de votre âge viennent, comme de coutume, vous témoigner leur amour, mais on voit la vieillesse elle-même accourir vers vous.

MARIE.

Tous ceux qui m’aiment reçoivent de moi en retour un amour égal.

ABRAHAM.

Approchez, Marie, donnez-moi un baiser.

MARIE.

Non-seulement je vous donnerai les plus doux baisers, mais je caresserai ce col flétri par les ans.

ABRAHAM.

Volontiers.


MARIE, à part.

Quelle est l’odeur que je sens ? quel parfum extraordinaire ! Cette saveur me rappelle mon ancienne abstinence.

ABRAHAM, à part.

C’est à présent qu’il faut feindre et me livrer aux folies d’un jeune étourdi, de peur que ma gravité ne me fasse reconnaître et que la honte ne la force à rentrer dans sa retraite.

MARIE.

Malheureuse que je suis ! D’où suis-je tombée ? dans quel abîme de perdition ai-je roulé ?

  1. Hroswitha n’a pas plus imité de Térence l’unité de lieu que celle des temps. Cette nouvelle forme de drame qui est restée celle de Shakspeare, de Calderon et de Goëthe, a commencé à se montrer dans la première pièce faite sur des idées et des traditions modernes, dans la Sortie d’Égypte ou le Moïse d’Ezéchiel le tragique, drame grec du second siècle, dont il nous reste de longs et précieux fragments.