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CALLIMAQUE.

emparée de vous pour oser vouloir outrager les restes de cette chaste femme ?

CALLIMAQUE.

J’étais entraîné par ma propre folie et par les suggestions captieuses de ce Fortunatus.

JEAN.

Avez-vous eu, trois fois infortuné, le malheur de parvenir à commettre le mal que vous désiriez ?

CALLIMAQUE.

Non ; j’eus la possibilité de vouloir, mais le pouvoir d’exécuter m’a manqué.

JEAN.

Quel obstacle vous arrêta ?

CALLIMAQUE.

À peine avais-je écarté le suaire et posé une main profane sur ce corps inanimé, que Fortunatus, le fauteur et l’instigateur de ce crime, périt sous les morsures d’un serpent.

ANDRONIQUE.

Ô juste punition !

CALLIMAQUE.

Alors je vis un jeune homme d’un aspect terrible ; sa main recouvrit respectueusement le corps ; de sa face rayonnante des étincelles jaillirent sur le tombeau ; une d’elles atteignit mon visage, et, en même temps, une voix se fit entendre qui me cria : « Callimaque, il faut que tu meures pour vivre » ! À ces mots j’expirai.

JEAN.

Œuvre de la grace céleste, qui ne se complaît pas dans la perte des impies !

CALLIMAQUE.

Vous avez entendu les misères de ma chute ; ne tardez pas à m’accorder le remède de votre miséricorde.

JEAN.

Je ne différerai pas.

CALLIMAQUE.

Car je suis confus et contristé jusqu’au fond de l’âme ; je souffre, je gémis, je pleure sur mon horrible sacrilège.

JEAN.

Ce n’est pas sans raison ; un si grave délit attend le remède d’une pénitence qui ne peut pas être légère.

CALLIMAQUE.

Oh ! plût à Dieu que je pusse vous découvrir le fond de mon cœur ! vous y verriez l’amertume du regret qui m’accable, et vous compatiriez à mon repentir.

JEAN.

Je me réjouis de cette douleur ; je sens que cette tristesse ne peut que vous être salutaire.

CALLIMAQUE.

J’ai en horreur ma vie passée ; je n’ai plus que du dégoût pour les plaisirs illicites.

JEAN.

C’est avec raison.

CALLIMAQUE.

Je me repens du crime que j’ai commis.

JEAN.

Vous le devez.

CALLIMAQUE.

J’ai tant de déplaisir de ce que j’ai fait que je ne saurais goûter ni le désir ni le bonheur de vivre, à moins que, renaissant en Jésus-Christ, je ne mérite de devenir meilleur.

JEAN.

Je ne doute pas que la grace d’en-haut ne se manifeste en vous.

CALLIMAQUE.

Ne tardez donc pas, ne différez pas à relever mon abattement, à adoucir ma tristesse par vos consolations, afin qu’aidé de vos avis et sous votre direction, de gentil je devienne chrétien, et de mondain que j’étais je devienne chaste, pour que sous votre conduite, j’entre dans la voie de la vérité et vive selon les préceptes de la promission divine.

JEAN.

Béni soit le fils unique du Tout-Puissant, qui a bien voulu participer à notre faiblesse ! Ô mon fils Callimaque ! béni soit le Christ dont la clémence vous a tué et qui vous a vivifié par la mort ! Béni soit celui qui, par ce faux semblant de trépas, a délivré sa créature de la mort de l’âme !

ANDRONIQUE.

Chose inouïe et digne de toute notre admiration !

JEAN.

Ô Christ ! rédemption du monde, holocauste offert pour nos péchés ! je ne sais par quelles louanges te célébrer dignement. J’adore avec crainte ta bénigne clémence et ta clémente patience, Christ, qui tantôt traites les pécheurs avec une douceur de père, tantôt les châties avec une juste sévérité et les forces à la pénitence.

ANDRONIQUE.

Gloire à sa divine miséricorde !

JEAN.

Qui aurait osé le croire ? qui l’aurait espéré ? La mort trouve Callimaque occupé à satisfaire ses désirs coupables ; elle l’enlève au milieu du crime, et ta miséricorde, ô Seigneur ! daigne le rappeler à la vie et lui rendre des chances de pardon ! Que ton saint nom soit béni dans tous les siècles, ô toi qui seul opères de si éclatants prodiges !

ANDRONIQUE.

Et moi, ô bienheureux Jean ! ne tardez pas à me consoler ! car l’amour que je porte à Drusiana ne laissera aucun repos à mon