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SCENE X.

ANDRONIQUE.

Je devine ce que cela signifie. Durant sa vie, ce jeune Callimaque aima Drusiana d’un amour criminel. Drusiana en fut contristée ; le chagrin qu’elle en conçut lui donna la fièvre ; elle invita la mort à venir la visiter.

JEAN.

Est-il possible que l’amour de la chasteté l’ait poussée à former un pareil vœu ?

ANDRONIQUE.

Après la mort de celle qu’il aimait, ce jeune insensé accablé de regrets et désespéré de n’avoir pu commettre le crime qu’il méditait, aura senti augmenter sa passion et s’irriter de plus en plus le feu de ses désirs.

JEAN.

Endurcissement digne de pitié !

ANDRONIQUE.

Je ne doute pas qu’il n’ait séduit à prix d’argent ce méchant esclave pour obtenir qu’il lui fournît l’occasion de commettre ce crime.

JEAN.

Oh ! forfait inouï !

ANDRONIQUE.

Le Seigneur les aura, comme je le vois, frappés tous deux de mort, pour les empêcher de mettre à exécution leur dessein criminel.

JEAN.

Ils ne peuvent se plaindre de ce châtiment.

ANDRONIQUE.

Ce qui dans cet événement m’étonne le plus, c’est que la voix de Dieu ait plutôt annoncé la résurrection de celui dont la volonté fut coupable, que celle de l’homme qui n’a été que son complice, cela vient peut-être de ce que l’un, entraîné par les vives séductions de la chair, a failli sans discernement, tandis que l’autre a péché par pure malice.

JEAN.

Avec quelle équité l’arbitre suprême juge les actions des hommes et dans quelle juste balance il pèse les mérites de chacun, c’est ce qu’il est difficile de savoir et ce que personne ne peut expliquer ; car le mystère des jugements divins passe de bien loin la sagacité humaine.

JEAN.

Oui, nous n’avons pas pour les jugements de Dieu assez d’admiration ; nous voyons les événements, mais la science nous manque pour en discerner les causes.

JEAN.

Ce n’est qu’après les faits accomplis que le résultat nous révèle le secret des choses.

ANDRONIQUE.

Et bien ! commencez donc, je vous prie, bienheureux Jean, à faire ce qui doit être fait ! ressuscitez Callimaque, pour que nous arrivions au dénouement de cette aventure compliquée.

JEAN.

Je pense qu’il me faut d’abord invoquer le nom du Christ pour chasser le serpent ; ensuite je ressusciterai Callimaque.

ANDRONIQUE.

Vous avez raison ; c’est le moyen d’empêcher que ce jeune homme ne soit blessé de nouveau par les morsures de ce reptile.


JEAN, au serpent.

Éloigne-toi d’ici, bête cruelle ! car cet homme doit dorénavant servir le Christ[1].

ANDRONIQUE.

Quoique cette brute soit privée de raison, son oreille au moins n’est pas sourde ; elle a entendu sur-le-champ votre ordre.

JEAN.

Ce n’est pas à ma puissance, mais à celle du Christ qu’elle a obéi.

ANDRONIQUE.

Aussi a-t-elle disparu plus vite que la parole [2].

JEAN.

Dieu infini, et que nul espace ne peut contenir ; être simple et incommensurable, qui seul es ce que tu es ; qui, réunissant deux substances dissemblables, as de l’une et de l’autre créé l’homme, et qui, désunissant ces deux principes, divises ce qui ne formait qu’un tout ordonne que le souffle de vie rentre dans ce corps ; permets que l’union rompue se rétablisse et que Callimaque ressuscite homme parfait comme auparavant, et tu seras glorifié par toutes les créatures, toi qui peux seul opérer de tels miracles !

ANDRONIQUE.

Amen. Tenez ! regardez. ! voici Callimaque qui commence à respirer l’air vital ! Seulement la stupeur le rend encore immobile.


JEAN.

Jeune homme, au nom du Christ, levez-vous ! et quelques crimes que vous ayez commis, confessez-les ; à quelques tentations coupables que vous ayez été exposé, dites-le, pour que la vérité ne nous reste pas cachée.

CALLIMAQUE.

Je ne puis nier que je ne sois venu ici dans une intention criminelle. J’étais consumé par une mélancolie funeste ; je ne pouvais apaiser le feu de mes désirs pervers.

JEAN.

Quelle démence, quelle frénésie s’était

  1. Formule d’exorcisme.
  2. Ce jeu de scène peut donner une idée assez avantageuse de l’habileté du machiniste de Gandersheim.