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CALLIMAQUE.

JEAN.

Il en est ainsi.

FORTUNATUS.

Eh bien ! si, comme vous me l’assurez, Drusiana m’a ressuscité, et si Callimaque croit en Jésus-Christ, je rejette la vie, je fais volontairement choix de la mort ; j’aime mieux ne pas exister que de voir abonder à ce point en eux la grace et la vertu.

JEAN.

Ô étonnante envie du démon ! ô malice de l’antique serpent qui fit goûter la coupe de la mort à nos premiers pères et qui ne cesse de gémir sur la gloire des justes ! Ce malheureux Fortunatus, rempli d’un venin diabolique ressemble à un mauvais arbre qui ne produit que des fruits amers. Qu’il soit donc retranché du collège des justes et rejeté de la société de ceux qui craignent le Seigneur ; qu’il soit précipité dans le feu d’un éternel supplice pour y être torturé sans jouir d’un seul intervalle de rafraîchissement.

ANDRONIQUE.

Voyez comme les blessures que le serpent lui a faites se gonflent ! Il tourne de nouveau à la mort ; il trépassera plus vite que je n’aurai parlé.

JEAN.

Qu’il meure et qu’il devienne un des colons de l’enfer, lui qui par haine de son prochain a refusé de vivre.

ANDRONIQUE.

Punition effroyable !

JEAN.

Rien n’est plus effroyable que l’envieux ; nul n’est plus coupable que le superbe.

ANDRONIQUE.

Ils sont tous deux à plaindre.

JEAN.

Le même homme est toujours en proie à ces deux vices ; l’un ne va jamais sans l’autre.

ANDRONIQUE.

Expliquez-moi votre pensée plus clairement.

JEAN.

Le superbe est envieux et l’envieux est superbe, parce qu’un esprit rongé par l’envie ne pouvant souffrir d’entendre l’éloge du prochain et cherchant à déprimer ceux qui le surpassent en perfection, s’irrite d’être placé au-dessous des plus dignes et s’efforce orgueilleusement d’être mis au-dessus de ses égaux.

ANDRONIQUE.

Effectivement.

JEAN.

De là vint que ce misérable était blessé au fond du cœur et qu’il ne put supporter l’humiliation de se reconnaître inférieur à ceux dans lesquels il voyait briller avec plus d’éclat la grace divine.

ANDRONIQUE.

Je comprends enfin maintenant pourquoi Fortunatus n’a pas été admis au nombre de ceux qui se sont levés de leur tombe, et pourquoi il devait mourir plus tôt qu’eux.

JEAN.

Il méritait ce double trépas, d’abord pour avoir outragé une sépulture qui lui était confiée, ensuite pour avoir poursuivi de sa haine injuste ceux qui étaient ressuscités.

ANDRONIQUE.

Il a cessé de vivre, le malheureux !

JEAN.

Retirons-nous et laissons le démon reprendre son fils. Nous, cependant, pour célébrer dignement la conversion miraculeuse de Callimaque et cette double résurrection, passons ce jour dans la joie, rendant graces à Dieu, ce juge équitable, ce pénétrant scrutateur de toutes les consciences, qui seul voit tout, dispose tout comme il convient, et distribue à chacun, selon qu’il l’en reconnaît digne, les récompenses ou le supplice. À lui seul l’honneur, la vertu, la force, la victoire ! à lui seul la gloire et le triomphe pendant la durée infinie des siècles ! Amen.


FIN DE CALLIMAQUE.