Page:Roucher - Les mois, poëme en douze chants, Tome II, 1779.djvu/199

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Sur un char paresseux, le soleil tristement
Se lève, enveloppé d’un sombre vêtement.
Quelle affreuse pâleur deshonnore sa face ?
Comme rapidement sa lumière s’efface !
De l’empire des airs n’est-il donc plus le roi ?
Qu’a-t-il fait de ses traits ? Où sont-ils ? Et pourquoi
Si long-tems à la nuit abandonner son trône ?
Est-ce là ce vainqueur que la flamme couronne ?
Est-ce lui, qui n’aguère ardent, ambitieux
Franchissoit tous les jours l’immensité des cieux,
De torrens de lumière inondoit les campagnes,
Et dardant ses rayons jusqu’au flanc des montagnes,
Empreignoit le rocher de germes créateurs ?
Vous, de son feu sacré zélés adorateurs,
Héritiers des incas, enfans de Zoroastre,
Venez dans notre Europe, et contemplez cet astre,
Devant qui, chaque jour, fléchissent vos genoux.

Est-ce là votre dieu ? Le reconnoissez-vous ?
Vous pâlissez ! Vos yeux se remplissent de larmes !
Peuples simples et doux, je conçois vos allarmes.
En contemplant son front et livide et glacé,
Vous croyez de la mort votre dieu menacé ;
Vous craignez que le ciel, pour venger quelqu’outrage,
N’aille renouveller cet antique naufrage,
Qui, brisant, ruinant le monde primitif,
Dispersa des humains le reste fugitif :
Comme eux vous redoutez d’éternelles ténèbres,
Et remplissez les airs de cris lents et funèbres.
Rassurez-vous ; le ciel vous promet sa faveur,
Et vous verrez bientôt naître votre sauveur.
C’est le soleil. Tournez vos regards vers l’aurore :
C’est de-là que ce dieu, tout rayonnant encore,
Après deux fois dix jours, de cinq nuits allongés,
Viendra dissiper l’ombre où nous sommes plongés ;
Les peuples marcheront à sa vive lumière :
Il rendra la nature à sa beauté première.
Terre, sois dans la joie ; et vous, cieux, tressaillez !
De leurs plus doux trésors les hommes dépouillés
Des présens de Cérès enrichiront leurs granges,
Et seront abreuvés du nectar des vendanges.
Mais trop tôt mes regards vont chercher l’avenir ;
Trop tôt je vous promets celui qui doit venir :
Avant qu’il ait repris son armure éclatante,
Les champs doivent languir dans une longue attente ;
Les vents doivent gronder, les brouillards s’épaissir,
Et la pluie et la nège en glace se durcir.
Ah ! Tandis que la glace épargne encor la terre,
Hâtons-nous, prévenons le froid qui la resserre :
D’une race nouvelle allons peupler les bois.
Cent jeunes citoyens s’offrent à notre choix ;
Le plâne, qui couvrit le banquet de Socrate ;
Le cèdre, antique enfant des rives de l’Euphrate,
Lui, de qui les rameaux dans la nuit allumés
Éclairoient les palais de flambeaux parfumés ;
Le frêne, qui se plaît à plonger dans l’argile ;
Le tremble murmurant et le hêtre fragile.
Venez, belles ; venez, poëtes et guerriers :
Je vais planter pour vous le myrthe et les lauriers.
Ombres des morts, sortez du séjour des ténèbres ;
J’élève le cyprès sur vos urnes funèbres.
Que le saule et l’ozier embrassent les ruisseaux ;
Ormes, dans les vallons, préparez des berceaux ;
Vous, sapins, qui des mers devez braver la rage,
Apprenez sur les monts à défier