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Page:Roujon - La Galerie des bustes, 1908.djvu/13

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GUY DE MAUPASSANT

En février 1876, arrivant à la République des Lettres pour y remplir les fonctions, dont j’étais très fier, de secrétaire de la rédaction sous les ordres de mon maître et ami Catulle Mendès, je vis le patron me tendre un manuscrit d’un air intéressé.

« Lisez cela », me dit-il.

C’était un poème qui s’appelait Au bord de l’Eau. Deux amants quelconques, un canotier et une blanchisseuse, qui s’aimaient à en périr ; une idylle, brutale et sensuelle, qui débutait en fait-divers et se terminait en cauchemar. J’étais alors un tout jeune apprenti, fort ignorant et pourvu de convictions intransigeantes, ainsi qu’il convient aux débutants. Insatiable lecteur de poésies, j’avais en méfiance les vers qui n’étaient pas ciselés selon la formule, et je renchérissais volontiers sur les théories du Parnasse. Tout me choqua d’abord dans ce manuscrit ; la vulgarité du sujet, le caractère facile des métaphores, le négligé du rythme, la dispersion des rimes, le style à la diable. Ces vers étaient selon le type que je croyais devoir réprouver. Toutefois, par dessus ce gros bruit que menait le conteur autour d’un accouplement fort banal éclatait le don suprême de la vie. Je relus Au bord de l’Eau. A la deuxième lecture, si j’aimai l’œuvre peut-être moins encore, je désirai être renseigné sur son auteur. Si léger et si tranchant que je fusse