Page:Rouquette - L'Antoniade, 1860.djvu/139

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 139 )

Sur la chair exerçant ma terrible puissance,
Je donne un charme occulte à la concupiscence.
Par le nouveau, l’étrange et le prodigieux,
Par le magique éclat d’un ciel prestigieux,
Par l’espoir d’un bonheur égal au plus beau rêve,
Dans les cœurs éblouis l’illusion s’achève !…
Qu’en ce siècle éclairé la Magie a d’élus !
L’âge de foi, d’amour et d’extase, il n’est plus :
Adieu, cloîtres bénis ! adieu, saintes retraites !
Adieu, déserts peuplés d’humbles anachorètes !
Adieu, Denys, Tauler, Pierre d’Alcantara,
Tous les aigles divins que l’Église admira ;
Thérèse, Catherine, Hildegarde, Brigitte,
Fleurs écloses dans l’ombre, ô phalanges d’élite :
La terre est désolée, en son impiété ;
Et je règne où régnait votre virginité ;
Je règne par la chair, je règne par la foule ;
Des héros et des saints j’ai brisé le grand moule ;
Et comme un noir simoun, le vertige par moi
Déracine des cœurs l’espérance et la foi ! —
Je suis maître partout ! Nul aujourd’hui ne prie ;
Nul ne veut aujourd’hui de la part de Marie ;
Les âmes, pêle-mêle, en leur aveugle élan,
Suivent le tourbillon d’un fatal ouragan ! —
Je suis maître partout ! — Livrés à la matière,
Les prêtres ne sont plus des anges de prière ;
Leur zèle, plein de trouble et de publicité,
N’aperçoit pas les fleurs de la mysticité ;
Aveugles conducteurs d’aveugles comme eux-mêmes,
Ayant un saint effroi pour les vertus extrêmes,
De l’antique folie oubliant les héros,
Dans des chemins battus, ils poussent leurs troupeaux ;
Ils ne connaissent pas d’extatique indolence :
La piété pour eux est dans la turbulence !
Ah ! si par eux le cloître était plus fréquenté,
Ils auraient moins d’esprit et plus de gravité ;
S’ils savaient mieux goûter le repos de Marie,
Ils sauraient s’abstenir de toute raillerie ;
Ils sauraient, en perdant leur sarcastique esprit,
Embrasés de l’amour qu’inspire Jésus-Christ,
Des plus douces vertus donnant le chaste exemple,
Repousser l’Hérésie, en gardant le saint temple ;
Et forts par leur douceur et leur calme divin,
Dans ce siècle agité, montrer un front serein !
Ils sauraient, en louant tout solitaire ascète,
Inspirer aux chrétiens l’amour de la retraite ;
Et, par le jeûne austère et l’ardente oraison,
Exorciser encor les Esprits de Python. —
Mais, hélas ! plus de cloître et plus de Thébaïde :
Le monde, le Clergé, l’Épiscopat timide